Introduction

Entreprendre cette présentation de l’œuvre de Jean Borella semble autorisé par le fait qu’il a lui-même jugé utile, à travers un « petit » livre : Symbolisme et Réalité, histoire d’une réflexion (1997, 69 pages), « de retracer la genèse de [sa] réflexion sur le symbolisme sacré, […] afin d’en rendre le discours plus intelligible, en montrant à quelles questions précisément cette réflexion a tenté d’apporter une réponse »1.

C’est surtout, parce que, bien qu’inachevée à ce jour, il s’agit véritablement d’une œuvre, condition sine qua non d’un tel exercice. Cette œuvre, c’est autant une doctrine du réalisme symbolique (c’est le symbole qui fait connaître le réel), offrant enfin une réponse à trois siècles de rationalisme et aux réductionnismes du criticisme kantien, du marxisme, du freudisme et du structuralisme, qu’une métaphysique du symbole, qui devrait réfuter une fois pour toutes la critique heideggerienne de la métaphysique occidentale2 et qui, à l’instar des ‘‘petits gris’’3, sonne Le Retour de la Métaphysique. C’est sur ces deux points, donner un aperçu de sa démarche générique et présenter un panorama de l’œuvre de Jean Borella, que nous voudrions focaliser cette introduction.

Une démarche philosophique, ‘‘bousculée’’ par l’Incarnation

Cette démarche est celle d’un philosophe4, c’est-à-dire de tout homme qui, pour lui-même et pour les autres, dans « la situation culturelle de son temps, en laquelle d’ailleurs se totalise et se résume celle des temps antérieurs » vise « à découvrir la vérité dans son intemporelle essence. »5

Mais si, en tant que fondateurs, Platon et Aristote restent les sources de toute philosophie, pour autant, il faut prendre en compte cette nouveauté majeure dans l’histoire de la pensée et inconnue de l’Antiquité : l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Cet événement, absolu et sans équivalent pour la philosophie – mais non philosophique en soi – a de facto, et qu’on y croie ou non, relativisé la philosophie. De plus, outrepassant l’horizon intellectuel de la mentalité humaine, ce surgissement historique du Verbe incarné, en tant justement qu’il est extra-philosophique, a déterminé la philosophie, la situant et l’instituant dans son ordre propre, faute de quoi elle risque toujours « de se perdre elle-même dans l’indéfinité de son propre discours (sophistique ou hégélien). »6

Car cette irruption n’est pas un quelconque « au-dehors » non philosophique, mais le Logos lui-même. En découlent toutes les thèses philosophiques ou philosophèmes qui ont empli la pensée chrétienne et orienté toute la philosophie, telles l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme ou la création du monde. En particulier, la doctrine chrétienne de la creatio ex nihilo (Dieu crée l’être même de la créature), « explicitant la dépendance ontologiquement radicale de la créature à l’égard du pur Acte d’être divin », jouera « un rôle considérable dans la question de l’analogie en général et celle de l’analogie de l’être. »7

« Voila pourquoi la philosophie chrétienne, celle de saint Thomas d’Aquin en particulier, peut aller plus loin, à certains égards, que celles de Platon et d’Aristote, non certes quant à l’ampleur de la vision métaphysique (dont Platon a fourni, une fois pour toutes, l’icône spéculative), ni non plus quant à la rigueur du langage conceptuel (qu’Aristote a établi une fois pour toutes dans sa scientificité) […] mais seulement en tant qu’elle est expressément ordonnée au fait de l’incarnation de la Sagesse éternelle en Jésus-Christ. »8

Un point de départ symbolique

Jean Borella nous indique lui-même (in Symbolisme et Réalité) que sa réflexion est partie, en 1950, des réactions de jeunes chrétiens de son entourage à la proclamation par Pie XII du dogme de l’Assomption, affirmant que « Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste ». ‘‘Il doit s’agir d’un simple symbole’’ fut le type de réflexion qui déclencha « l’évidence d’une réponse : par delà les divisions et les oppositions de la raison analytique, se tenait la vérité du réel, un en lui-même, inséparablement historique et symbolique, visible et invisible, physique et sémantique. »9

Cette découverte, cette intuition, c’est que le réel et le symbolique ne s’excluent pas réciproquement, que la matière des corps a une nature ontologiquement spirituelle sans que soit mise en doute la réalité de leur corporéité, que la perception ne donne à connaître qu’un mode du réel (la corporéité) qui en a d’autres, et que l’Assomption de Marie n’est ni exclusivement d’ordre historique ni exclusivement d’ordre symbolique10.

A l’inverse, la conviction de l’exclusion réciproque du réel et du symbolique peut amener un Bultmann à prétendre « que les faits sacrés et les miracles sont physiquement impossibles et théologiquement faux », si bien que nous devons, « pour sauver notre foi, les interpréter comme de simples figures du discours religieux » ! Mais, ce faisant, la pensée Bultmano-moderniste n’a pas conscience du paradigme qui la dirige : la conception de la matière et de la réalité physique issue du matérialisme scientifique, idéologie pourtant déjà périmée depuis un siècle (Relativité, physique quantique)11.

Par contre, ayant exclu à la fois le matérialisme, le réalisme classique et l’idéalisme, tous trois incapables de dire ce qu’est la réalité du réel physique, on peut prendre conscience du ‘‘mode de présence’’ que sont les choses et en même temps, leur essence n’étant que dans l’ordre de l’essence – c’est-à-dire en Dieu -, de leur absence. « Ainsi, tous les êtres, toutes les réalités sont à la fois prophétie (ou révélation) archétypale (en tant qu’ils réalisent un mode de présence) et une réminiscence (ou mémorial) archétypale (en tant que tout mode implique une certaine absence de ce qu’il modalise) : c’est pourquoi tout être créé annonce l’archétype dont il est la manifestation et nous appelle, par le ressouvenir qu’il en éveille en nous, à remonter vers lui. »12

Il apparaît ainsi hautement symbolique que ce soit la proclamation du dogme de l’Assomption qui ait été à l’origine de ce voyage, puisqu’« en Marie montant au ciel dans sa glorieuse assomption », on contemple « l’existence ‘‘devenue une seule chair’’ avec son essence », on contemple « la nature humaine couronnée de son archétype éternel. »13

L’édification d’une ontologie borellienne comme réalisme symbolique

Rendant présente la réalité qu’ils signifient tout en révélant leur absence, les êtres de la création s’identifient donc à des symboles, et réalité symbolique et réalité physique ne s’opposent plus. Le symbole n’est plus un signe arbitraire (puisqu’il s’identifie à la réalité qu’il symbolise) et la réalité physique n’est plus un pur ‘‘être-là’’, un en-soi impénétrable, puisqu’elle est constituée dans sa subsistence – subsistentia14 – par une essence, une ‘‘forme sémantique’’.

Le symbole devient ainsi le lieu de conversion de la nature à la culture (les éléments physiques sont insérés dans un processus de signification) et de la culture à la nature (l’œuvre de l’esprit se revêt de formes visibles).

Affirmant la dimension ontologiquement symbolique de toute créature, cette ontologie est fondée à être définie comme un réalisme symbolique : « c’est l’idée de symbole qui nous permet de penser l’idée de réalité. »15

L’on peut certes qualifier cette ontologie de borellienne (puisque sa formulation particulière actuelle en revient à Jean Borella), voire platonicienne (puisque c’est l’inspiration attestée16 ou « l’irrécusable vérité du platonisme » qui est retrouvée17 ou la « leçon de Platon » pour peu qu’elle soit débarrassée du platonisme18 ou encore « l’axe central de sa perspective doctrinale »19, etc.), mais n’est-ce pas plutôt la seule ontologie digne de ce nom, la seule possible ? Montrer que les êtres sont des symboles, que l’être est analogal, que l’ontologie elle-même est ainsi fondamentalement analogique20 ; montrer que son fondement métaphysique se situe donc dans un au-delà de l’être, dans une méontologie (méta-ontolgie) de la Relation (Relation de Dieu à son Être, d’abord), que l’Altérité y est l’Analogue inverse de l’Identité et l’analogue direct de l’Affirmation de l’Identité, que l’Identité suprême, au-delà des essences, au-delà de l’Être et du Non-Être est la pure Analogie21 ; n’est-ce pas rompre définitivement avec tout système écarteleur ? N’est-ce pas retrouver, dans cette sémanticité de l’être, « l’unité de l’être et du connaître, l’ontonoèse où l’être et le connaître s’unifient indissociablement » ?22

Genèse et chemin de croix de la pensée du symbolisme sacré : métaphysique du symbole

La pensée ontologique de l’être-symbole est donc née de la démarche philosophique ouverte sur le tout du monde (sa naturalité et sa surnaturalité), rejetant ainsi tous les réductionnismes que sont les diverses conceptions du monde qui tablent sur une exclusion réciproque du réel et du symbolique. Mais une intuition métaphysique peut bien y parvenir, il reste à l’œuvre philosophique de l’élaborer et au philosophe à la faire partager. C’est l’histoire de cette élaboration et de son affrontement aux paradigmes et à la mentalité de l’intelligentsia occidentale, que nous voudrions ici résumer et caractériser23.

Littéralisme et démythisation rationaliste : fidéismes naïf ou savant

Née sur fond de la proclamation d’un dogme, l’intuition de l’être-symbole engageait à rejeter deux écueils :

  • le littéralisme qui, pensant sauver la vérité de la révélation, nie tout symbolisme. Son rapport à la foi caractérise le fidéiste naïf et son adhésion exclusive à la lettre du texte ;
  • la démythisation qui, en exilant le religieux hors de l’histoire et de l’existence humaine, transforme en ‘‘façon de parler’’ les symboles religieux. Son rapport à la foi caractérise le fidéiste rationaliste et son rejet de la lettre du texte sacré pour sa nature inconsciemment mythique. Cette foi, vidée de tout contenu, est réduite à sa propre affirmation.

Pour ces deux fidéismes, le réel s’identifie à l’ordre matériel et le symbolique est son substitut fictif. Cependant que le fidéiste naïf invoque le miracle pour les événements contraires aux lois physiques, le fidéiste savant (ou bultmannien) pense sauver la foi en rejetant, « comme de simples figures du discours religieux », les faits sacrés et les miracles (puisqu’ils « sont physiquement impossibles et théologiquement faux » – sic).24

L’historicisme religieux abattu par la révolution de la physique

Paradoxalement, c’est lorsque ce fidéisme savant est devenu la « tornade bultmano-moderniste », que son paradigme : l’idée de la substance du monde issu du matérialisme scientifique, s’est envolé dans cette autre tornade qu’a été la révolution de la physique (Relativité et physique quantique), remettant en question le concept de matière et celui de réalité physique.

Malheureusement, cette première tornade, bien qu’infondée par la seconde, a cependant pu menacer « de tout emporter de la foi catholique », précisément parce que « l’édifice de la pensée chrétienne » était par trop construit sur le « principe de l’exclusion réciproque du réel et du symbolique » et parce que « depuis le seizième siècle, et surtout à partir de la fin du dix-septième siècle, l’exégèse catholique (ou protestante) la plus officielle, répudiant le sens spirituel de l’Écriture – à l’encontre de la patristique et du moyen âge – s’était exclusivement employée à prouver l’historicité de ce qui, dans la parole divine, pouvait être raisonnablement arraché au mythique. »25 Demeure donc ce paradoxe, emblématique chez Bultmann, du rejet de « la ‘‘mythologie néo-testamentaire’’ au nom d’une conception de la science qui n’est plus elle-même qu’un mythe. »26

Le matérialisme et l’alternative réalisme-idéalisme déplacés par une ontologie de l’essence et de son existence corporelle

Cependant que le matérialisme ne sait pas dire ce qu’est la réalité du réel physique (puisque, au mieux, il constate un dit réel physique et décide qu’il n’y a rien à chercher au-delà de ce constat), l’alternative réalisme-idéalisme n’a de sens que s’il n’y a pas d’autre réalité que la matière, s’il n’existe pas d’autres modes du réel que le mode matériel.

Or, « l’essence, comme unité intelligible, transpatiale et transtemporelle » – l’essence-lion ou l’essence-chêne par exemple – n’est-elle pas une réalité plus réelle encore que l’exemple corporel – tel lion, tel chêne – auquel elle survit ? D’où cette présence des choses corporelles (immanence de leur archétype) et, en même temps, leur relative absence (transcendance de leur essence).27

Le symbole fait passage entre l’ordre de la nature et l’ordre de la culture

Identifier créature et symbole, c’est passer de l’ordre de la nature à l’ordre de la culture, chemin inverse de celui qui consistait à partir du fait sacré, à étudier sa négation rationaliste pour découvrir l’ontologie matérialiste qui la fondait, puis à réaliser que cette idéologie scientiste était périmée.

Le symbole devient donc le lieu de passage à la fois de la nature à la culture : signification des éléments physiques (formes, couleurs…) et « correspondance analogique entre la nature physique de l’élément symbolisant et la nature métaphysique de la réalité symbolisée » ; et de la culture à la nature : l’œuvre de l’esprit, le « signe, se revêt de formes visibles, se fait chair et devient chose (mystérieuse) parmi les choses. »

Le symbole est la clef de l’ontologie.28

Le discours religieux fait l’espérance philosophique

Le symbole est certes la clef de l’ontologie, encore faut-il qu’il se fasse connaître comme symbole. Il faut qu’il se fasse reconnaître comme l’entité particulière, qui n’est ni une simple chose (noyée parmi les autres choses), ni un simple concept (perdu dans l’univers mental du psychisme). Pour cela, il ne doit pas renvoyer à ce qui serait directement connaissable selon l’expérience commune (les indications du panneau routier ou du langage commun) et il n’est « que le discours religieux où le pur symbole puisse se ‘‘découvrir’’ ».

En effet, quand le texte annonce que « le Verbe est dans le Principe », ou nous parle de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal », nous ne sommes renvoyés à rien qu’on puisse voir ni imaginer. « Le seul lieu […], c’est le signe lui-même » et, un tel signe, « qui ne renvoie à rien de cosmique, est un pur symbole, […] une entité résiduelle irréductible à quoi que ce soit du monde. » En faire l’expérience, c’est accéder « à la conscience ‘‘qu’il y a du symbolisme’’, et c’est donc pouvoir aussi accéder éventuellement à l’intelligibilité de l’être ». « La connaissance de foi […] consiste à adhérer au symbole, c’est-à-dire à ‘‘connaître dans le symbole’’. »

Le discours religieux offre alors au discours philosophique « le modèle sur lequel il pourra penser l’acte de la connaissance ». Comme connaître, c’est connaître ce qui est, et que nos sens ne nous présentent que des réalités changeantes, « nous devons apprendre à saisir l’identité de l’être dans l’altérité du devenir, à percevoir l’essence dans l’existence » comme ce qui « lui confère sa subsistence (subsistentia). »

Connaître « des essences par l’expérience des symboles et ‘‘remonter’’ à l’intérieur du sensible vers l’intelligible qui le fonde » n’est pas tout. On est aussi amené « à découvrir le sensible dans l’intelligible […], existence enfin réconciliée et réintégrée dans son essence. » Ce « retournement est exigé par la connaissance métaphysique » et « ce que veut le philosophe […], la connaissance totale et parfaite […], la réalisation enfin accomplie de la promesse inscrite dans la substance même de son intelligence », c’est s’unir à ce qu’il connaît.

« Il ne suffit pas en effet de connaître ce qui est, il faut aussi être ce que l’on connaît. » Mais, comment donc connaître ce ce-qui-est, s’il est absent des réalités corporelles dont nous sommes, sans s’abstraire soi-même par l’extase ou la mort ? Si le corporel – limité, contingent, historique – reste inintelligible, toute la philosophie est vaine et donc avec elle l’intelligence humaine. Mais si la nature de l’intelligence réside dans son ‘‘instinct du Réel’’, dans son espérance de l’Être total, alors la perfection de la connaissance est bien cette unité du connaissant et du connu (leur acte commun, dit Aristote), et donc du connaissant comme tel et du connu comme tel.            

C’est cette métaphysique de l’être symbolique – lequel se découvre grâce au discours religieux – qui permet au logos (pensée, discours) philosophique de ne pas être un discours complètement déconnecté du réel ou flottant au-dessus de lui, comptant sur sa seule cohérence interne pour oser espérer le refléter plus ou moins ; dit positivement, cette métaphysique de l’être symbolique permet au contraire que s’accordent « l’intelligence et la foi, la philosophie et la religion, la raison et la révélation »29

La « critique de la raison symbolique » et la destitution de la raison

Une telle vérité métaphysique n’est pas simple à faire partager. Comme le souligne Henri Gouhier, s’il faut distinguer les philosophies de la vérité et les philosophies de la réalité, les premières chercheront les causes pour démontrer la vérité et les secondes la source pour montrer la réalité : « la source est sur le plan du réel ce que la cause est sur le plan de la vérité »30

Ne pouvant donc démontrer cette métaphysique – « expliquer rationnellement une symbolique déterminée équivaudrait à réduire le mythos au logos » et donc à l’annihiler –, il reste « à en établir la légitimité au regard de la raison critique ».

Le préalable est de constituer une base solide : définir proprement le symbole, tout en récusant les thèses envahissantes du structuralisme ; c’est ce que fait, au terme d’une « élaboration technique » et selon une « mise en forme philosophique », le Mystère du signe.

Il devient ensuite possible d’« amener la raison moderne à consentir à la nécessité de cette métaphysique », en lui montrant les impasses où conduit le rejet du symbolisme sacré ; c’est ce que fait La crise du symbolisme religieux. Le raisonnement suivi est le suivant :

  • « Nier que les formes sacrées soient des messages du Transcendant, c’est nécessairement en faire de simples productions inconscientes de la conscience humaine » ;
  • Quelle que soit la genèse de ce processus d’aliénation, il constitue « une thèse rigoureusement contradictoire » : en effet, comment à cette aliénation de la conscience soi-disant universelle (« le principe caché de sa genèse réside dans la situation structurelle de cette conscience ») pourrait échapper ‘‘miraculeusement’’ la conscience de celui qui formule cette thèse – lui permettant dès lors d’être sensée ;
  • L’illusion du sacré n’est donc plus ni structurelle ni universelle, puisqu’elle souffre des exceptions ;
  • On n’a donc pas expliqué la dite « inéluctable aliénation religieuse » par une raison structurelle et universelle ;
  • On a, par contre, révélé la prétention injustifiable des « révélateurs de la conscience aliénée » qui, eux, prétendent échapper à cette aliénation universelle ;
  • Et on a aussi révélé, outre la contradiction de sa thèse, celle du prophète impossible dont la « révélation consiste précisément à déclarer que toute révélation est une illusion, comme un homme qui clamerait : ‘‘la parole n’existe pas’’ ! »31

De l’impossible explication rationnelle à la conversion

Si l’explication rationnelle des symboles est impossible, c’est parce que, « plus radicalement, ce n’est pas la réalité (commune) qui interprète le symbole, mais le symbole qui nous oblige à interpréter cette réalité, à la voir autrement que sous l’apparence réductrice qu’elle revêt à nos yeux et la dépasser. »

Dès lors, comme « l’existence des symboles sacrés est réfractaire à toute explication rationnelle, quelle peut être l’attitude de l’intelligence philosophique face à ces monstres dont l’inquiétante étrangeté s’accuse à mesure que la raison les expulse d’elle-même et s’en purifie ? Je n’en vois pas d’autre que celle d’une conversion aux symboles. »

Et se convertir au symbole, c’est accepter de le suivre dans sa mise en question du réel, « c’est accepter d’entrer avec lui dans la conversion métaphysique du réel », c’est « s’ouvrir à la transfiguration de la chair du monde dont il est le témoin prophétique et l’amorce salvatrice. »

« Dans cette conversion, se résout le conflit de la raison et de la foi, de l’universalité du logos affronté à la contingence des cultures religieuses : ici, le sens s’unit à l’être, l’informelle intelligence s’unit aux formes sacrées, meurt en elles et ressuscite en les transfigurant. A l’impossible suicide spéculatif d’une raison illusoirement démystifiée répond le sacrifice d’un intellect qui ne trouve son accomplissement que dans la médiation crucifiante du symbole, ainsi que nous l’enseigne, exemplairement, le mystère de la Nuit pascale ».32 […]33

Une œuvre anagogique selon une dialectique mythoslogos

Ramassée dans La crise du symbolisme religieux, la dialectique mythos-logos (dialectique dont le rôle est de conduire l’intellect jusqu’à la contemplation déifiante34) est elle-même, sous la grâce de l’Esprit, la puissance anagogique (l’acte d’anagogie étant, littéralement, « la montée vers le haut ») de toute l’œuvre de Jean Borella.

  • Dans le livre cité, est mise en lumière la contradiction inaperçue et constitutive des thèses modernes (« modernistes »), de Spinoza, Hegel, Feuerbach, Marx, Freud, Lévi-Strauss, à Foucault, Derrida…, lesquelles, de trois façons bien distinctes, en éradiquant le mythos (le symbolique), nient directement le logos (l’intelligence qui parle en nous) ; ce qui rend « établie, per absurdum, l’essentielle conjonction du logos et du mythos »35, avant que le logos ne puisse se convertir au mythos.
  • Dans l’œuvre, sans schématisme trop outré, on peut voir presque s’alterner, autour de la ‘‘rupture’’ que constitue le ‘‘guide explicatif’’ : Symbolisme et Réalité, les textes mettant prioritairement en scène le mythos et ceux plutôt centrés sur le logos.

Dans ces premiers, le mythos, en tant que Mystère chrétien, est tour à tour confronté à sa doctrine (La Charité profanée), aux trois types d’hérésies qui le guettent (Le sens du surnaturel), à l’ésotérisme (Ésotérisme guénonien et mystère chrétien) et aux grands modes de la théologie (Lumières de la théologie mystique).

Dans les seconds, de nature plus spécifiquement philosophique, le logos se plonge tour à tour dans l’intelligence du symbole (Le mystère du signe) puis dans celle de l’analogie (Penser l’analogie), car « le symbole déchiffré se transforme en l’analogie qui le constituait »36 et, entre les deux, s’affronte aux philosophies modernes jusqu’à amener, comme indiqué, le logos à se convertir au mythos, l’intelligence à se convertir au symbole (La crise du symbolisme religieux).

Que le point de départ soit le mythos ou le logos, la dialectique mythoslogos est bien évidemment au cœur de chacun des ouvrages, où le logos est systématiquement invité à se convertir au mythos. C’est vrai dans La Charité profanée – livre le plus centré sur le mystère chrétien – où l’intelligence se convertit au Symbole chrétien ; c’est vrai également dans Penser l’analogie – livre sans doute le plus philosophique –, où l’on peut lire : pour entrer dans la surconnaissance, l’« épignose » paulinienne, il faut « avoir renoncé à toute connaissance, fût-ce à la connaissance même des Idées »37. Cela signifie que « l’intelligence métaphysicienne doit s’engager concrètement dans la foi au Dieu révélé : sans révélation, pas d’Objet divin » ; « et sans Objet divin […], pas de délivrance possible, puisque tout pèlerinage vers une lumière alors absente est interdit. L’intelligence doit opérer une sorte de sacrificium intellectus, elle doit s’ensevelir dans la foi comme dans la mort du Christ Logos, mais c’est pour renaître avec lui »38.

On notera, par ailleurs, qu’il était crucial que le premier livre fût centré sur la doctrine chrétienne (plus particulièrement la théologie trinitaire). Comment en effet commencer à dire avant de connaître, à expliquer avant d’avoir compris ? L’ordre lui-même des quatre confrontations du mystère chrétien : la doctrine (La Charité profanée), les hérésies (Le sens du surnaturel), l’ésotérisme (Ésotérisme guénonien et mystère chrétien) et la théologie mystique (Lumières de la théologie mystique) n’est pas neutre ; il reflète les trois moments de l’ascension ‘‘théologico-mystique’’ :

  • la théologie affirmative (ce qu’est la doctrine),
  • la théologie négative (ce qu’elle n’est pas : hérésies, ésotérismes)
  • et la théologie mystique (mode non modal de communion au mystère).

Il n’est donc jusqu’à la parution rapprochée des deux ouvrages (1986 & 1990) montrant ce que le christianisme n’est pas, qui n’ait rien de fortuit. Le premier (Le sens du surnaturel) dégage son essence des hérésies qui l’assaillent (comme des attaques ‘‘de l’extérieur’’), le second (Ésotérisme guénonien et mystère chrétien) protège son existence des dérives qui le guettent (attaques ‘‘de l’intérieur’’).

Pour terminer sur le continuum infaillible de l’œuvre, signalons que le premier ouvrage La Charité profanée – qui naissait, face à l’ampleur de la Réforme post-conciliaire et au dévoiement de la charité dans l’activisme mondain39, pour découvrir le secret de la Charité dans la lumière de la théologie trinitaire40 – ce premier ouvrage donc, annonçait déjà (dès son édition de 1979) la préparation de « Fondements métaphysiques du Symbolisme sacré »41, lequel, en fait, donnera lieu à un premier travail sous le titre : Le mystère du signe, dix ans plus tard en 1989, puis de son complément : La crise du symbolisme religieux, l’année suivante, en attendant la parution, désormais abandonnée, d’une intégrale et récapitulative Métaphysique du symbole.42

Une telle doctrine, pour aboutir, aura donc suivi ‘‘tout le parcours’’ :

  • Elle aura pris sa source au Mysterium caritatis : « pneumatisation de l’intellect », « ferment alchimique de notre déification »43 et « substance à tous les degrés de sa réalité », justifiant la dualité des êtres44 (La Charité profanée).
  • Elle se sera ancrée dans l’histoire, l’analyse et le mystère du symbole, où ce dernier se sera avéré « opérateur sémantique » : producteur de sens, transformateur de l’ontologie en sémantique, fécondateur de l’intelligence et ‘‘consumateur’’ de « la substance du monde afin de la ramener à son Principe »45 (Le mystère du signe rééd. Histoire et théorie du symbole).
  • Elle se sera affrontée à trois siècles de rationalisme, découvrant que « le principe sémantique » nous condamne à la voie d’une métaphysique du symbolisme, secteur premier de la connaissance spéculative, « en droit de revendiquer la place centrale dans la pensée philosophique »46 (La crise du symbolisme religieux).
  • Elle se sera dégagée des trois natures d’hérésie qui la guettent pour retrouver le sens du sacré et l’Écriture comme symbole, ainsi que pour « nous engager à vouloir notre propre finitude ontologique », accomplissant la Volonté du Père47 (Le sens du surnaturel).
  • Elle se sera également dégagée des ésotérismes – parfois de pacotille – et, en particulier, aura ‘‘restauré’’ la valeur initiatique des sacrements face à « la démiurgie initiatique »48 guénonienne (Ésotérisme guénonien et mystère chrétien).
  • Elle se sera encore raffinée dans l’étude de l’analogie, cette ‘‘âme’’ du symbole et, remontant le long de la dialectique platonicienne, nous aura amenés au mystère de l’Analogie suprême, où se cache le mystère de la création du monde : le monde sensible qui, par tout le non-être dont il est mêlé, témoigne du caractère encore illusoire du monde intelligible dont il est le reflet direct49 (Penser l’analogie).
  • Enfin, épurée aux lumières de la théologie mystique, elle nous aura entraînés, par la vertu anagogique des symboles, dans « la ‘‘Pâque’’ de l’intellect théologien » : « mort aux concepts affirmatifs » et résurrection de l’intellect qui aura consenti à son propre effacement [« l’intelligence qui ferme les yeux » dionysienne] : gnose par nescience50 (Lumières de la théologie mystique).

Une présentation de l’œuvre en cinq temps

Le centre de l’œuvre est sans conteste cette mystique ou cette métaphysique des mystères chrétiens (cf. La charité profanée, Penser l’analogie, Le sens du surnaturel, Lumières de la théologie mystique…), c’est-à-dire qu’il nous offre l’opportunité, si l’Esprit souffle à ce moment-là, d’une intelligence du mystère, où l’acte intellectif s’abolit dans son être intuitif et l’intellect ne fait plus qu’un avec l’intelligible, dépassant toute opération noétique (ordre de la connaissance qui implique donc une certaine spéculativité).51

Nous proposons donc de nous acheminer vers ce centre en quatre temps (quatre premières parties) qui constituent chacun, pour nous, des passages majeurs de la réflexion borellienne :

Une pensée de l’histoire de la pensée.

Cette première partie est l’occasion, en quatre chapitres de taille inégale, de présenter comme des fresques – parlantes et synthétiques -, soit des moments de l’histoire, soit des histoires de moments particuliers, tels que Jean Borella sait les peindre :

  • la rupture sophistique post-parménidienne et l’alternative ‘‘complémentaire’’ Platon-Aristote (cf. Penser l’analogie, La crise du symbolisme religieux),
  • une histoire des quatre régimes de la raison  (cf. Lumière de la théologie mystique)
  • le meurtre en trois temps du symbolisme par le rationalisme critique des trois derniers siècles (cf. La crise du symbolisme religieux),
  • et l’avènement d’un certain christianisme idéologique à travers les trois types d’hérésies possibles (cf. Le sens du surnaturel).

L’œuvre ne pouvait en effet pas manquer de se situer vis-à-vis de ce qu’on peut appeler les courants de pensée majeurs de l’histoire de la pensée ni, en particulier, de se référer à la double source de toute philosophie : Aristote pour l’organisation du discours et sa scientificité, et surtout Platon, pour le fondement métaphysique du contenu du discours.

Les situs relatifs de la philosophie et de la science, de l’ésotérisme, de l’ontologie, de la théologie, de la mystique et de la métaphysique en regard de la gnose.

Cette seconde partie permettra de situer avec précision ce dont on parle, souci pédagogique tant appréciable et toujours présent chez Jean Borella, philosophe et enseignant, même lorsqu’il ne s’agit que d’étymologie, de lexicologie, de philologie ou des définitions immédiates des termes techniques incontournables (cf. Le mystère du signe, Ésotérisme guénonien et mystère chrétien, Lumières de la théologie mystique, Penser l’analogie, La Charité profanée, ainsi qu’une sélection de quelques articles sur la gnose publiés par les revues comme « La Pensée catholique » ou Krisis).

La métaphysique de la Relation.

Par cette troisième partie, on pourra aborder la théorie du signe symbolique (et sa réfutation des analyses et thèses du structuralisme), par laquelle on voit le symbole qui, « non seulement ‘‘donne à penser’’52, mais encore donne la pensée à elle-même »53 (cf. Le mystère du signe, La crise du symbolisme religieux) puis l’analogie – « la clef du symbole » parce qu’elle était devenue symbole en revêtant des formes sensibles –, apparaîtra « comme le ‘‘lieu’’ de l’unité et de la distinction de l’essence et de l’existence, pour un être donné »54 (cf. Penser l’analogie).

Les sens innés de l’homme et de sa capacité métaphysique.

Cette quatrième partie présentera les trois sens, que l’on pourrait sans doute montrer n’en faire qu’un, et qui sont, selon le contexte dans lesquels on les découvre : le sens du surnaturel, le sens du réel et le sens du sens.

  • Le sens du surnaturel permet à l’homme de sortir du statut forcé de sous-homme des « humanismes totalitaires » (cf. Le sens du surnaturel),
  • Le sens du réel permet de sortir de l’enfermement sophistique du discours vide (cf. Penser l’analogie),
  • Le sens du sens permet de prendre évidence du Logos et de convertir l’intelligence au symbole (cf. La crise du symbolisme religieux).

Métaphysique des mystères chrétiens.

La cinquième partie souhaitait initialement présenter uniquement quelques éléments-clefs d’une métaphysique des mystères chrétiens, tels qu’ils sont donnés à lire dans La Charité profanée (ici, chapitre 18, Métaphysique du mystère chrétien). Cependant, il a semblé utile d’introduire cette quintessence du christianisme par les deux reculs essentiels que constituent, d’une part, une réflexion sur la problématique de l’unité des religions (chapitre 16, Problématique de l’unité des religions ; cf. « Intelligence spirituelle et surnaturel »55 et « Problématique de l’unité des religions »56) et, d’autre part, le fondement de l’« accès » métaphysique à l’au-delà de l’être (chapitre 17, L’Au-delà de l’être ; cf. Le mystère du signe, La crise du symbolisme religieux, Penser l’analogie).

Notes

  1. Symbolisme et Réalité, p.8.[]
  2. Quant à sa non-impossibilité, pour le moins.[]
  3. Frères de la congrégation Saint-Jean (Notre-Dame de Rimont), fondée par le père Marie-Dominique Philippe comme en écho au « la métaphysique est plus utile que le charbon » de Jacques Maritain et parce que « si l’intelligence ne peut rien dire de Dieu, la Révélation devient une poésie ». cf. Samuel Pruvot, in France Catholique n° 2875, 28 mars 2003 titrée : « Le retour de la métaphysique ».[]
  4. D’un chrétien philosophe et non d’un philosophe chrétien (cf. Symbolisme et Réalité, p.63), car c’est nécessairement le logos qui est ordonné au mythos qui le fonde, et non l’inverse (voir section 6).[]
  5. Symbolisme et Réalité, p.7.[]
  6. Penser l’analogie, pp.15-16.[]
  7. Ibidem, p.16.[]
  8. Ibidem, pp.17-18.[]
  9. Symbolisme et Réalité, pp.11-12.[]
  10. Ibid., pp.12-13.[]
  11. Ibid., pp.14-15, 19-20.[]
  12. Ibid., pp.23-27.[]
  13. Ibid., p.47.[]
  14. Jean Borella propose d’écrire « subsistence » (du latin subsistentia) avec un e, lorsque le terme désigne le fait de subsister (la permanence dans l’être), pour le distinguer des moyens de subsistance de l’homme (nourriture) et de l’intendance militaire (cf. Lumières de la théologie mystique, p.86, n.183[]
  15. Symbolisme et Réalité, pp.29-32.[]
  16. La crise du symbolisme religieux, p.14[]
  17. Symbolisme et réalité, p.23.[]
  18. Penser l’analogie, IVe partie, chapitre XII, section 1, p.162[]
  19. La Charité profanée, p.32, n.1.[]
  20. Penser l’analogie, p.127.[]
  21. Ibid., pp.92 & 213.[]
  22. Lumières de la théologie mystique, p.112.[]
  23. Pour la période allant de 1950 à 1997, date de parution de Symbolisme et Réalité, nous sommes bien sûr très aidé par ce ‘‘guide-explicatif’’, en quelque sorte résumé ici.[]
  24. Symbolisme et Réalité, pp.13-15.[]
  25. Ibid., pp.17-18.[]
  26. Ibid., p.20.[]
  27. Ibid., pp.23-26.[]
  28. Ibid., pp.29-33.[]
  29. Ibid., pp.33-46 (l’ensemble de cette section v.).[]
  30. Henri Gouhier, La philosophie et son histoire, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 2° édition, 1948, « Philosophies de la réalité et philosophies de la vérité », p.30.[]
  31. Symbolisme et Réalité, pp.53-57.[]
  32. La crise du symbolisme religieux, p.14.[]
  33. Partie du livre exclue de cet article[]
  34. Penser l’analogie, p.140.[]
  35. La crise du symbolisme religieux, p.14.[]
  36. Penser l’analogie, p.209.[]
  37. Penser l’analogie, p. 189.[]
  38. Ibid., n. 25, p. 189.[]
  39. À l’encontre du : « Qui veut donc être l’ami du monde, se rend ennemi de Dieu » (Jo., IV, 4-5) ; d’où le sous-titre du livre : « subversion de l’âme chrétienne ».[]
  40. La Charité profanée, p.32.[]
  41. Ibid., p.4.[]
  42. Constituée de trois parties : ontologie, noétique et rituélique, cf. Le mystère du signe, n. 4, p. 87 et cf. Chapitre 11. « Le signe symbolique », Article 2. « L’eidétique du symbole », § 4. « De l’essence du symbole ».[]
  43. La charité profanée, p.414.[]
  44. Ibid., p.419.[]
  45. Le mystère du signe, p.265.[]
  46. La crise du symbolisme religieux, pp.332-333.[]
  47. Le sens du surnaturel, p.248[]
  48. Le sens du surnaturel, p.248.[]
  49. Penser l’analogie, p.214.[]
  50. Lumières de la théologie mystique, p.108.[]
  51. Ibid., p.112.[]
  52. « Le symbole donne à penser » est l’expression de Paul Ricœur ; le symbole fait bien davantage (cf. infra Chapitre 12).[]
  53. Symbolisme et Réalité, p.51.[]
  54. Penser l’analogie, p.127.[]
  55. in Éric Vatré, La droite du Père, Enquête sur la Tradition catholique aujourd’hui, Trédaniel, 1994.[]
  56. Postface à : Bruno Bérard, Introduction à une métaphysique des mystères chrétiens, à la lumière de ses commentateurs anciens et modernes, en regard des Traditions bouddhique, hindoue, islamique, judaïque et taoïste, L’Harmattan, 2005, ISBN 2-7475-8135-7, EAN 9782747581356, Imprimatur du diocèse de Paris.[]