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Métaphysique pour tous

Entretiens avec Bruno Bérard.

Bruno Bérard et Annie Cidéron

Ces douze entretiens écrits avec Annie Cidéron ont pour unique but de rendre la métaphysique accessible à tous. Cette discipline y est tour à tour confrontée à la science, à la religion, au sexe, à la matière, à la mystique, à l’ésotérisme, à différents métaphysiciens… permettant de répondre à la question « Qu’est-ce que la métaphysique ? » dans un entretien terminal.

Sommaire de l'ouvrage

  1. Métaphysique et science
  2. Biographie métaphysique
  3. Métaphysique et religion
  4. Métaphysique et métaphysiciens
  5. Une aventure métaphysique
  6. Métaphysique et mystique
  7. Métaphysique du croire
  8. Métaphysique du sexe
  9. Métaphysique et matière
  10. Métaphysique et ésotérismes
  11. Métaphysique et l’après-mort
  12. Qu’est-ce que la métaphysique ?

Extrait

Croire ou savoir ?

On oppose souvent les croyants qui croient et les savants qui savent. « Croire » relèverait donc de la religion et « savoir » de la science. Mais ce n’est pas si simple. Peut-on croire à quelque chose dont on ne sait rien ? De même, connaît-on vraiment une chose dont on ne croit rien ? C’est donc une illusion de penser que croire et savoir sont en exclusion réciproque.

AC. Mais n’a-t-on pas l’ordre cognitif qui va de l’ignorance à la connaissance en passant par la croyance ?

BB. En fait, il faut nécessairement lui ajouter l’ordre volitif, c’est-à-dire l’assentiment qui implique la volonté (Borella). On montre même que toute preuve est nécessairement une croyance.

AC. Comment ça ?

BB. Il y a cette perpétuelle confrontation entre ces deux domaines foncièrement disjoints dans l’ordre de la rationalité : les mots et les choses, les discours et les faits. « Une proposition sera prouvée si, après avoir été établie par une méthode reconnue, elle fait l’objet d’une croyance ». On a en effet ces deux éléments disjoints : l’énoncé à prouver et le dispositif objectif de mise à l’épreuve de l’énoncé. Une première croyance nécessaire est celle, subjective, du destinataire de la preuve en l’efficacité de celle-ci, la seconde, intersubjective, est celle du bien-fondé des procédures de la preuve (Fernando Gil, 1937-2006).

AC. En effet, mais ces deux croyances nécessaires sont rarement mises en avant dans les sciences.

BB. C’est que l’efficacité technique ou pratique sert de preuve. On voit en tout cas ici que croire et savoir se combinent indissociablement. Lorsque Kant dit « je devais donc supprimer le savoir, pour trouver une place à la foi », il manque, me semble-t-il, cette combinatoire irréductible.

AC. Rappelle-moi son raisonnement ?

BB. Il postule que les objets métaphysiques : Moi, le Monde et Dieu, sont inconnaissables (Critique de la Raison pure, 1781), mais, bien qu’ils soient inconnaissables empiriquement (on ne peut les voir, les sentir ou les toucher), il est raisonnable de les postuler comme hypothèses moralement nécessaires (Critique de la raison pratique, 1788).

AC. C’est de l’équilibrisme !

BB. Instable, dès qu’on n’est plus subjugué par la construction – ou la réduction – rationaliste.

La distinction suivante, dans notre approche du croire, c’est entre le savoir et la connaissance.

Savoir ou connaître ?

Pour aller droit au but, je dirais que les savoirs se construisent, la connaissance est un donné.

AC. Il faut m’en dire plus.

BB. Le monde des savoirs lui-même est paradoxal. D’une part ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait rien (Socrate/Platon ; Montaigne, 1533-1592 ; Henri Poincaré, 1854-1912), mais, d’autre part, l’accumulation des savoirs est évidente dans les sciences, les technologies, les artisanats. C’est que les savoirs théoriques restent toujours des hypothèses vraisemblables, les savoirs pratiques, eux, sont irréfutables.

La connaissance, c’est tout autre chose ! Elle est ingénérable, elle est un pur constat (Borella) : il y a de la connaissance ! C’est l’intellect – qui vient du dehors (Aristote), on l’a dit –, la compréhension qui advient, le sens qui se révèle.

AC. C’est ce que dit Maître Eckhart : « L’intelliger est incréable en tant que tel » !

BB. Exactement ! la connaissance, c’est la condition transcendantale à tout acte cognitif. C’est l’exemple, déjà mentionné je crois, de la lumière qui infuse un cristal. Est-elle produite par le cristal ? Et si non : comment distinguer l’intellect de la lumière qu’il reçoit ? On conclura que l’intellect, dans son essence suprahumaine, est incréé et incréable et que « le contenu cognitif de l’intellect excède le degré de réalité de sa manifestation » (Borella).

Croire, c’est donc donner son assentiment à un énoncé que l’on tient pour vrai. Il peut s’agir, par exemple, d’un lien de parenté ou de l’eau qui bout à 100°C ; soit on donnera sa confiance à un témoignage, soit on pourra le vérifier empiriquement par soi-même.

AC. Autant dire que, pour la grande majorité des savoirs, on fait confiance aux témoignages, même s’ils sont très indirects. Mais, qu’en est-il s’il s’agit de la connaissance ?

BB. C’est la simple prise de conscience de la puissance de l’intelligence, comparée à la simple raison (Platon), de la surnaturalité de l’intellect ou des formes intelligibles (Aristote), de l’ingénérabilité du sens ou « principe sémantique » (Borella). Ce sont également les exemples mentionnés lors d’un précédent entretien : l’expérience de la pensée du plus grand (S. Anselme) ou Dieu comme source de la pensée de Dieu (Descartes). Si l’intelligence est bien « surnaturelle par nature » et « d’essence métaphysique », si « l’intellect est déjà quelque chose de divin » (Borella), la connaissance dont nous parlons, c’est l’accès, de par la nature de cet intellect, à ce qui dépasse l’homme.

Avis de parution

On sera peut-être surpris d’apprendre que la métaphysique est une science, développée par le fondateur même de la science : Aristote. La rigueur de son discours scientifique complète ainsi ce qu’a établi une fois pour toute Platon avant lui : une métaphysique par accès de l’intelligence à ce qui dépasse la Nature et à la signification des choses du monde et de la vie.

Confrontée à la religion, au sexe, à la mystique, à la mort, à la matière, au croire… la métaphysique apparaît alors évidente et, comme M. Jourdain avec la prose, chacun se découvre, comme tout être humain, « animal métaphysique ».

Ces entretiens, quasiment des conversations à bâtons rompus, permettent un abord facile de la métaphysique et d’en faire sienne la démarche, si on le souhaite.

Recension

Bien que l’homme vive à une époque sombre, incertaine et superficielle, certaines questions fondamentales ne cessent de nous venir à l’esprit : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». « Qui suis-je ? ». « Que se passe-t-il après la mort ? ». Des réponses ardues, difficiles et parfois presque impossibles, mais auxquelles cela vaut la peine d’essayer de répondre. Cela est même nécessaire ! C’est la tâche qui, dans l’histoire de la pensée et des idées, a été confiée à la métaphysique, qui, tout en se préservant de toute donnée de l’expérience ordinaire, ne craint pas de repousser les limites de la connaissance humaine et au-delà. Dans cette tâche immense, sans limites même, et qui dantesquement « fait frémir les veines et les poignets », cet entretien mené avec une intelligente sensibilité par Annie Cideron auprès de Bruno Bérard, dernier mais non moins important représentant d’une illustre brochette de penseurs-savants se réfèrant explicitement à la Tradition universelle et aux profondes doctrines spéculatives de la philosophie, de la théologie et de la mystique chrétiennes, pourra aider tout un chacun.

— Simmetria

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