Découvrant les murs de paradoxes qui stoppent la connaissance de l’univers, de l’homme, de la société et de Dieu, on comprend les limites scientifiques de la connaissance, telles que démontrées par le physicien Hervé Zwirn ou indiquées philosophiquement par Jean Borella. La philosophie peut alors reprendre ses droits. Distinguant la raison, bornée par son objet et la logique qui la gouverne, de l’intelligence qui la dépasse, on réalise combien le paradoxe peut aider la raison à admettre ses limites et édifier l’intelligence à ce qui la dépasse elle-même.
Sommaire de l'ouvrage
- Exergue : Un barbier pensait
- Introduction : Pour une métaphysique du paradoxe
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1re Partie. Paradoxes
- Chap. I. Qu’est-ce qu’un paradoxe ?
- Chap. II. Paradoxes cosmologiques
- Chap. III. Paradoxes anthropologiques
- Chap. IV. Paradoxes théologiques
- Chap. V. Paradoxes sociologiques
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2e Partie. Les limites du savoir
- Chap. VI. La preuve est une croyance
- Chap. VII. Les limites de la connaissance
- Chap. VIII. Vérité ou réalité ?
Extrait
Un barbier pensait
Il se lève, il fait encore nuit ; les paradoxes commencent ! Qui donc se lève, toutes les cellules de son corps ayant été renouvelées (paradoxe du bateau de Thésée* ou de Chisholm*) ? Et ne devrait-il pas faire jour la nuit (paradoxe d’Olbers*) ?
Il ne dit pas bonjour à son épouse parce qu’il n’est pas marié, les mariages arrangés n’existant plus et les mariages libres étant davantage soumis aux divorces que les mariages arrangés (paradoxe de Toqueville*). Il ne se rase pas, car, barbier lui-même, il a été bêtement défini comme celui qui (ne) rase (que) ceux qui ne se rasent pas eux-mêmes (paradoxe du Barbier*). D’ailleurs, c’est un bon barbier et, pour le devenir, il a fait comme son maître, il n’a imité personne (paradoxe de Consuelo* Casula). [Exergue, p. 13]
Une classification des paradoxes : paralogie, paracosmie, paradoxie.
Qu’il s’agisse de contredire l’intuition ou la logique, de divertir ou de marquer un progrès dans les sciences, tous les paradoxes ne s’y prennent pas de la même façon. On peut, à suivre Delmas-Rigoutsos, les distinguer suivant la source de la contradiction exprimée :
1. Si les réalités incompatibles présentées sont indéniables, mais que le raisonnement spécieux est cause de la contradiction, on a affaire à un paradoxe logique, à une paralogie (ou un paralogisme) ; par exemple la plaisanterie potache : Socrate est mortel, le cheval est mortel, donc Socrate est un cheval. La démonstration apparente qui aboutit à la contradiction n’a de fait pas eu lieu. Si la paralogie est une erreur de raisonnement (une faute logique), le sophisme, qui en est une également, s’en distingue néanmoins par son intention de tromper1. C’est la lutte des philosophes grecs contre les sophistes, lesquels enseignaient l’art de convaincre par n’importe quel moyen, qui a conduit Aristote à fonder la logique (son Organon) et à définir les types et les formes de raisonnements valables2. Outre cette époque inaugurale (en Occident)3, ce type de paradoxes a alimenté les vastes investigations logiques des penseurs médiévaux (sous l’appellation des « insolubilia »)4 et au XXe siècle, celles des philosophes du langage5.
2. Si le raisonnement est irréprochable et que la source de la contradiction réside dans le rapprochement de deux réalités incompatibles, on a alors affaire à un paradoxe cognitif, une paracosmie ; par exemple celui du « ciel en feu », dit d’Olbers*, qui s’étonne que le ciel soit noir la nuit6. C’est ce type de paradoxe, souvent l’affirmation d’un fait contre-intuitif, qui de tout temps fait florès dans les sciences, si bien qu’on les désigne souvent comme étant des paradoxes scientifiques7. Pour autant, il ne faudrait pas croire que ces types de paradoxes surgissent comme des illuminations soudaines face à la faille d’une théorie établie ; ils accompagnent, en les suivant, les évolutions théoriques, et sont, d’ailleurs, comme l’a relevé Delmas-Rigoutsos, « généralement diffusés avec une solution » et un référentiel théorique explicite. 3. Si les réalités présentées ainsi que le raisonnement sont tous corrects, mais qu’on ne peut parvenir à aucune conclusion raisonnable8, on peut parler alors de paradoxie, ou proprement de dilemme logique, ou encore simplement de dilemme (voire d’antinomies). L’exemple le plus emblématique de paradoxie est le paradoxe du Menteur*. S’il n’a vraiment acquis ce statut qu’à l’époque moderne9, on trouve déjà chez Aristote la première trace écrite de la discussion d’un dilemme logique, en référence même à une discussion antérieure10. Comme les paralogies, les dilemmes auront occupé les penseurs des trois grandes époques de la logique (Antiquité, Moyen Âge scolastique, XXe-XXIe s.), les discussions recommençant à chaque fois « quasi tabula rasa »11. [Chap. I, pp. 30-32]
Notes
- Ainsi en latin, « sophisme » (du grec) se traduit par « fallacia » : tromperie.[↩]
- Voir, l’exposé magistral de François Chenique, Éléments de logique classique, l’art de penser, de juger et de raisonner, Dunos-Bordas, 1975, rééd. L’Harmattan, 2006.[↩]
- En particulier, le successeur d’Aristote, Théophraste d’Érèse (fin IVe-début IIIe s. av. J.-C.), avec un ouvrage de trois volumes, ou encore le plus fameux logicien de l’Antiquité, Chrysippe le stoïcien (IIIe s. av. J.-C.), avec deux introductions et quatre ouvrages de plusieurs tomes sur cette seule question.[↩]
- L’archevêque et « Profond docteur » (the Profound Doctor) Thomas Bradwardine (v. 1290-1349), qui engage la perspective métalinguistique, ensuite développée par (le probable moine bénédictin) Roger Swyneshed († 1365 ?), le philosophe et logicien William Heytesbury (1313-1372/1373) et, dans une moindre mesure, par le philosophe scolastique Albert de Saxe (1316-1390) ; suivant la liste résumée de Yannis Delmas-Rigoutsos, op. cit.[↩]
- Les logiciens Bertrand Russell (1872-1970), Frank Ramsey (1903-1930), mathématicien également et qui distingue les paradoxes « logiques » et « sémantiques », ainsi qu’Alfred Tarski (1901-1983), qui établira la version moderne des niveaux de langage (langue/métalangue) et, plus récemment, Saul Aaron Kripke (1940), sans oublier Friedrich Frege (1848-1925) ou Rudolf Carnap (1891-1970) ou encore Diego Marconi (1947) et Ruth Barcan Marcus (1921-2012).[↩]
- Pourquoi fait-il noir la nuit, alors qu’il n’y a pas de point du ciel dépourvu d’étoiles semblables au soleil ? Il devrait être « en feu » ![↩]
- La contradiction est essentielle au progrès de la connaissance scientifique : « C’est à travers une série continue de contradictions et d’oppositions entre l’expérience et la théorie que (la connaissance) trouve les conditions nécessaires de son développement », écrivait Paul Langevin, La pensée et l’action, Paris : Les Éd. Français Réunis, 1950, p. 92.[↩]
- « Les paradoxes sont des conclusions inacceptables résultant d’arguments apparemment acceptables à partir de prémisses apparemment acceptables », selon la formule de Mark Sainsbury, Paradoxes, Cambridge University Press, 1988.[↩]
- C’est que sa simple absurdité devient un véritable sujet pour une certaine philosophie du langage.[↩]
- Cf. Yannis Delmas-Rigoutsos, op. cit.[↩]
- Spécifiquement du Ve au IIIe s. av. J.-C. (voire prolongé jusqu’au IVe s.) et de la fin du XIIe au milieu du XVe s. ; cf. Yannis Delmas-Rigoutsos, op. cit.[↩]
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