La vérité, plus large que nos systèmes, accorde une place dans son sein aux choses les plus opposées :elle ne divise pas, elle unit pour régner.1

Alfred Fouillée (1838-1912)

D’une manière générale, c’est un contresens que de considérer un paradoxe comme une difficulté logique destinée à exercer la sagacité des doctes ou à éblouir la simplicité des ignorants.2

Jean Borella (1930)

Oui, la bêtise consiste à vouloir conclure.3

La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. […] Quel orgueil et quel néant ! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu.4

Gustave Flaubert (1821-1880)

Introduction

S’il fallait clarifier la distinction fondamentale entre la raison et l’intelligence, c’est que les trois types de paradoxes (paracosmies, paralogies, paradoxies) nous semblent s’adresser distinctement à ces deux instances de l’esprit, chacun prodiguant un enseignement spécifique.

Paradoxes de la raison : paracosmies, paralogies.

Les paracosmies,

on l’a vu5, correspondent à des raisonnements irréprochables, mais rapprochant deux réalités incompatibles, faits et/ou théories. Ce sont, pour l’essentiel, les paradoxes scientifiques, construits comme tels et, le plus souvent, livrés avec leur solution. On a ici une illustration du fonctionnement de la raison discursive qui rapproche ses objets – par ressemblance ou dissemblance, identification ou opposition – afin de construire un savoir toujours plus assuré. Évidemment, c’est le rapprochement par opposition qui constitue le paradoxe, et caractérise le nœud du gain de connaissance : s’il ne fait pas jour la nuit, c’est parce que les étoiles s’éloignent (expansion de l’univers, paradoxe d’Olbers*6 ; si la matière est onde et corpuscule, c’est parce que c’est le corporel et le physique qu’il s’agit désormais de distinguer7 ; etc. En revanche, s’il y a rapprochement, on parlera d’analogie, et ce mode de construction des savoirs est aussi ancien que l’homme8 et largement traité en philosophie de la connaissance9 – tout comme, d’ailleurs, par la psychologie10.

S’il y a opposition, on connaît au moins le traitement par thèse-antithèse-synthèse et, plus généralement, l’analyse de chaque opposé en termes de catégorie11, classes, genres, espèces… ou assimilé, permettant alors leur compatibité ; tel, typiquement, la distinction du corporel et du physique rendant compatibles onde et corpuscule (Wolfgang Smith). Que la réalité soit contrintuitive (paradoxe des Anniversaires*, de l’Alabama*, de Benford*, etc.), ou qu’elle se cache derrière une apparence trompeuse (l’illusion optique du bâton qui se plie dans l’eau), voilà la « simple » démarche cognitive de la science de la nature (probabilité, diffraction de la lumière) et la simple description d’un aspect du fonctionnement discursif de la raison ; il n’y a guère plus à en dire, semble-t-il :

éviter le paradoxe est une exigence rationnelle élémentaire pour n’importe qu’elle théorie rationnelle car il s’agit tout simplement d’éviter la contradiction.12

Joseph Vidal-Rosset (1961-)

C’est bien ce qu’illustre la science avec ses itérations faits-théories sur base de paracosmies : ces paradoxes scientifiques par excellence. Et, si la philosophie s’en empare (à bon droit), ce ne peut être qu’avec prise en compte des solutions scientifiques.

Les paralogies

nous semblent proposer un enseignement capital. Si les paracosmies rappelaient que la raison est soumise à son objet13, les paralogies lui rappellent qu’elle est gouvernée par la logique. C’est sa chance de réaliser sa limite, spécialement celle de son fonctionnement discursif – et horizontal.

Cette horizontalité indéfinie est manifeste dans certains travaux de certains logiciens sur ces paralogies « qui ne touchent en fait que la grammaire de notre langage, et non le rapport de notre langage avec le monde »14, c’est-à-dire qui sont, ou se veulent, comme les discours sophistiques, détachées de toute amarre ontologique. En effet, ces paradoxes logico-mathématiques (paradoxes de Cantor* ou de Russell* ou sa variante du Barbier*, par exemple) et logico-sémantiques15 (paradoxes du Menteur* ou de Grelling*), non seulement trouvent des solutions variées et concurrentes16 (c’est tout spécialement le cas des « solutions ensemblistes », où, sur le schéma usuel « d’une hiérarchie des expressions », solutions et interprétations divergent néanmoins : théories ZFC17, NBG18 et NFU19, mais aussi peuvent amener à des énigmes plus grandes encore :

en inventant NF, Quine a donné la solution la plus simple et la plus élégante […] mais, sans le vouloir, il a offert à la communauté scientifique une énigme bien plus profonde encore.20

Joseph Vidal-Rosset

Si l’on a affaire au « cercle des paradoxes » (de Rouilhan21), c’est que, sans fin, le mental peut courir sur lui-même, ou tourner sur lui-même : on l’appelle alors le moulin mental. Les exemples des travaux sur les paradoxes du Menteur* et de Grelling* illustrent à nouveau ce fait, qu’il s’agisse de travaux scientifiques de logiciens ou de travaux philosophiques22, ceux de Tarski, par exemple, pouvant donner lieu à interprétation réaliste et critique intuitionniste :

Indépendamment de la preuve, la valeur de vérité réside en l’énoncé comme une propriété. Telle est la signification de ce que l’on appelle « le réalisme sémantique ». Ceux qui contestent ce type de réalisme objecteront que l’on voit mal ce que peuvent être les « faits » mathématiques indépendamment de la pensée ou des systèmes de preuves. Enfin, nous n’avons aucune idée de ce que peut bien signifier la vérité d’un énoncé si celui-ci n’est pas au moins justifiable en principe. Ce débat contradictoire est loin d’être clos aujourd’hui en philosophie.23

Joseph Vidal-Rosset

 Il nous semble qu’à l’impossibilité de conclure correspond simplement « l’orgueil et le néant » de « la rage à vouloir conclure », tels que dénoncés par Flaubert24. Ici, avec les paralogies, la raison parle à la raison – en boucle ; et l’intelligence, ayant admis avec Kant que cette raison serait l’instance ultime, se contente de la regarder imperturbablement, subjuguée par cette puissance mentale à l’œuvre. Une illustration banale de ce phénomène se trouve dans la confusion fréquente entre puissantes capacités intellectuelles et intelligence ; si beaucoup disposent indéniablement des premières, mais que leur manquent cruellement la seconde25, c’est, simplement, le paradigme kantien dans ses œuvres, avec pour conséquence l’abdication, involontaire et inconsciente, de l’intelligence.

Cette remarque, bien sûr, concerne en tout premier lieu des interprétations philosophiques des paralogies, puisque la science, constitutivement, on l’a dit, reste nécessairement à l’interieur de son « enfermement épistémique volontaire » et, le plus souvent, tirera profit pratique et applicatif de ses travaux. En revanche, philosophiquement, si l’on admet que tout sophisme a pour champ un discours déconnecté de toute attache ontologique, nous croyons que les paralogies constituent des avertissements contre le risque permanent de sophisme.

Par exemple, si Tarski démontre que la vérité ne saurait être intégralement définie à l’intérieur d’aucun langage, quand bien même il insiste sur la « neutralité philosophique » de son théorème d’indéfinissabilité de la vérité, c’est tout simplement parce que celle-ci est transcendante à toute démonstration ou vérification. Sinon, nous sommes de retour auprès du sophiste ancestral prétendant que vrai et faux sont indifférentiables, mais faisant nécessairement référence au vrai pour que son discours, bien que sophistique, soit simplement intelligible.

Si, contre le théorème de Tarski, on recommande le tiers inclus en alternative au tiers exclus que l’on entend réfuter ? Sophisme à nouveau, puisque l’on se met dans une situation de tiers exclus : l’un et l’autre sont en exclusion réciproque !

Ainsi, face aux sophismes de la raison : la raison se limitant elle-même (Kant), l’affirmation rationnelle de l’inexistence de la raison (Derrida), croire que la seule connaissance possible serait rationnelle (Kant), les paralogies sont des panneaux de signalisation pour philosophes : sens interdit ou impasse. Certes, il est toujours possible d’emprunter un sens interdit, mais c’est à ses risques et périls ; quant à l’impasse, on ne pourra jamais faire mieux que de s’y enfoncer.

Paradoxes de l’intelligence : paradoxies.

Dans la mesure où les paradoxies, dilemmes logiques, sont des insolubles, elles imposent, elles aussi, en premier lieu, de reconnaître une limite à la rationalité pure ; elles sont un marqueur facile pour la raison de cette « infinité de choses qui la surpasse »26. Certes, on peut s’arrêter là et croire, avec Kant et à sa suite, que, le reste étant inconnaissable, on peut, au mieux, s’en préoccuper au nom de la raison pratique – mais qu’est-ce qui peut bien fonder alors la morale, et la religion elle-même, si la révélation se retrouve dans la limite de la simple raison ?27

S’arrêter, dogmatiquement, en deçà des limites de la raison, voici bien ce qui va donner les sophismes kantiens28, lorsqu’il entend « exposer les scènes de désordre et de déchirement qu’engendre ce conflit des lois (antinomie) de la raison pure »29. Il est au demeurant dommage que Kant ait bien vu qu’une antinomie puisse être une borne – une « pierre de touche », écrit-il –, mais il la voit comme bornant la connaissance, puisque la raison – elle-même bornée, et il le voit bien – est pour lui, sur base de l’expérience, la seule source de connaissance possible :

L’antinomie qui se manifeste dans l’application des lois est pour notre sagesse bornée la meilleure pierre de touche de la nomothétique, grâce à laquelle la raison qui, dans la spéculation abstraite, ne s’aperçoit pas aisément de ses faux pas, est rendue plus attentive aux moments de la détermination de ses principes.30

Emmanuel Kant (1724-1804) 

Ainsi, lorsqu’il formule sa preuve de l’antithèse d’un monde sans commencement, il écrit : « admettons que le monde ait un commencement. Comme le commencement est une existence précédée d’un temps où la chose n’est pas, il doit y avoir un temps antérieur où le monde n’était pas, c’est-à-dire un temps vide » (p. 389), sans s’apercevoir que s’il y avait un temps avant le temps, il n’y aurait plus de réel commencement31 ; le temps ne limite pas le temps, pas plus que la mer ne limiterait la mer32. De même, écrivant : « si l’on admet d’abord le point de vue contraire, c’est-à-dire que le monde est fini et limité, quant à l’espace, il se trouve dans un espace vide qui n’est pas limité » (ibid.) ; mais d’où sort-il que l’espace (le monde dans sa spacialité) serait alors dans un espace illimité ? L’espace, non plus, ne saurait limiter l’espace !33 Ainsi, le sophisme n’est pas entre les termes de l’antinomie, mais à l’intérieur même de chacun de ses termes.

C’est pourquoi la paradoxie délivre la raison d’elle-même, elle l’ouvre à l’intelligence qui la surpasse, elle révèle l’intuition intellectuelle à même de comprendre – et d’éclairer – les circonvolutions de la raison. Par exemple, si le corollaire du théorème de Gödel prouve que la non-contradiction formelle est indémontrable, c’est bien que cette non-contradiction appartient in fine à l’ordre de l’intuition34, qu’elle est, en tant que principe, part de l’intelligence. Dans cette perspective, la paradoxie, tout spécialement, rend « manifeste la contradiction inhérente au projet scientifique de fermeture épistémique du concept »35.

L’Épiménide ou l’épreuve du principe sémantique.

Davantage encore, une paradoxie particulière : le paradoxe du Menteur*, pourra révéler au penseur attentif la sémanticité de l’être, ou que l’être n’a de sens que pour l’intelligence. Mais il faut d’abord choisir entre le paradoxe du Menteur* per se, celui d’Eulubile de Milet, et celui d’Épiménide*. Certes, l’attribution à Épiménide du paradoxe éponyme pose difficulté puisque la formule rapportée par S. Paul à propos de leur prophète, « Crétois toujours menteurs » (Tit I, 12), n’est pas un paradoxe. Néanmoins, Clément d’Alexandrie et S. Jérôme y reconnaissent a minima Épiménide36. Dès lors, étant donné l’origine historique de facto inconnue de ce paradoxe, plutôt que de voir dans l’Épiménide une altération postérieure à l’argument mégarique (d’ailleurs réduit au statut de simple sophisme), il semble tout à fait pertinent de prendre en compte ce qu’indique la tradition immémoriale : le paradoxe d’Eubulide comme étant la vulgarisation sceptique37 de l’enseignement ésotérique antérieur d’Épiménide38. Plusieurs éléments prêchent en faveur de cette thèse, outre l’antériorité historique établie par Hermann Diels (1848-1922)39 du disciple d’Hésiode (VIIIe s. AEC)40, en particulier :

  • selon Diogène Laërce (180-240), Épiménide est un être « quasi divin » : manifestation d’Éaque, juge des Enfers, maître de la discrimination : de l’« épreuve » qui distingue ceux qui ont l’intelligence des signes41 ;
  • selon Platon, il est même le « divin Épiménide »42 ;
  • selon Plutarque et Diogène Laërce, il serait l’un des Sept Sages de la Grèce antique43 ;
  • selon Aristote, « ce prophète révèle le passé plutôt qu’il ne prédit l’avenir », ce qui indique une orientation vers la connaissance plutôt que vers l’action44 ;
  • Pythagore lui-même le vénérait45.

De plus, suivant Enrico Castelli (1900-1977)46, trois traits du personnage sont à rapprocher ; ils concourent à conforter la considération d’un enseignement métaphysique de ce paradoxe, qui révèle en voilant et, spécialement, atteste le principe de l’intelligence métaphysique : long retrait (sommeil) dans une caverne du Mont Ida (celle du « mythe » éponyme)47, corps entièrement tatoué (mais chose connue après sa mort seulement48) et attribution du paradoxe du menteur qui, lui aussi, « parle sans dire et dit sans parler, car il tait ce qu’il veut signifier et dénonce le signifiant à l’aide du signifiant lui-même »49. Enfin, « l’Épiménide réalise mieux que tout autre la contradiction constitutive de tout paradoxe, parce qu’il concerne le mensonge, c’est-à-dire la falsification des énoncés »50.

D’un point de vue socio-psychologique,

l’Épiménide n’est pas un paradoxe. Personne ne comprend « les Espagnols sont fiers », « les Français railleurs » ou « les Africains ont le rythme dans la peau », comme autre chose qu’un trait plus ou moins caractéristique d’une population, relevant d’ailleurs le plus souvent de l’image d’Epinal.

D’un point de vue logique,

ce paradoxe propose simplement une contradiction entre la forme et le contenu de la proposition, si bien qu’on est surpris qu’il ait pu faire couler autant d’encre :

Comment se fait-il que de simples sophismes qui n’auraient pas embarrassé un instant un disciple d’Aristote ou un étudiant de la Faculté des Arts de l’Université de Paris aient pu être pris au sérieux par des esprits aussi éminents que Russell, Frege, etc. ? La réponse ne nous paraît pas douteuse. La cause de cet aveuglement curieux gît dans le formalisme du raisonnement logistique, et, avant tout, dans l’interprétation du jugement en extension.51

Alexandre Koyré (1892-1964)

C’est que ce paradoxe, et d’autres (Barbier*, Richard*, Russell*), ont marqué une limite à la théorie des ensembles, précisément la limite d’une définition purement extensiviste réduite à l’appartenance à un ensemble. Le Barbier* n’est un paradoxe que parce que l’élément « barbier du village » est considéré comme entièrement défini par la relation « raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes ». S’il était aussi simplement un homme, il n’y aurait plus de contradiction à ce qu’il se rase lui-même52. Ce souci de définition fermée, certes légitime, n’est que celui de la « langue bien faite » ou de la « fermeture radicale du concept »53 : le souhait d’une définition absolue (des termes et des relations qu’ils soutiennent), c’est-à-dire où definiendum et definiens54 s’identifient, au point que rien du défini ne déborde de sa définition – ce qui est impossible dans le langage naturel55. Cela signifie que le discours de la science logique se veut être l’origine du terme, de sa signification, de son sens ; la définition se prétend la source du défini56 !

Or, d’un point de vue philosophique,

n’en déplaise à Wittgenstein57 – ou à Quine voulant assimiler science et philosophie –, c’est bien, à l’inverse, le terme qui donne sens au discours :

les termes, les concepts, les idées, les pensées, ou de quelque nom qu’on voudra les désigner, dans la mesure où ils ont un sens qui est leur bien propre, et auquel d’une certaine manière, ils s’identifient, et donc dans la mesure où ils ne reçoivent pas ce sens du discours lui-même, échappent au discours, et n’y trouvent plus que leur traduction formelle. […] La réalité sémantique d’un concept, qui constitue son au-delà langagier, est le point par où il est relié à l’être. C’est l’invisible du langage auquel seule l’intelligence peut accéder.58

Jean Borella (1930-)

C’est cette ouverture à l’être du concept – cette « ouverture originelle » lui donnant sens et réalité – qui l’enpêche à jamais d’être défini langagièrement ; on ne peut qu’en user dans le langage : « l’emploi qu’on en fera ne sera jamais qu’une approximation et une limitation de sa réalité sémantique qui en elle-même est informelle et inépuisable »59.

La réduction – ou l’apauvrissement – nécessaire au langage logique, c’est, notablement, l’élimination des termes ou phrases autoréférentiels60, car la contra-diction provient du langage parlant de lui-même. Faisant alors appel à une métalangue (de puissance sémantique supérieure), le logicien note qu’il y a irréflexivité entre le système formel de la langue et celui de la métalangue – et on trouve ainsi les limites de la formalisation61.

Si, de son côté, le linguiste repère bien, naturellement, la réflexivité du langage62, c’est pour mieux dénoncer le supposé arbitraire du signe linguistique63 ou, ce qui revient au même, une supposée omnipotence du langage64, ce qui n’occulte pas le cercle dans lequel la linguistique, originellement, se trouve constitutivement, de par son inhérente « réduction épistémique du concept »65.

Or, « ce n’est pas la langue qui est métalinguistique, c’est la pensée humaine qui est reflexive, par nature » :

La réflexivité du langage ne fait que refléter la réflexivité essentielle de la pensée, c’est-à-dire sa capacité à se prendre pour objet, ou encore à se dépasser elle-même : il n’y a pas de pensée humaine en dehors de la possibilité de cette « auto-transcendance » ou de cette « auto-transitivité ».66

Jean Borella

Certes, le signe linguistique provoque la prise de conscience par l’esprit de la réflexivité de la pensée, mais il ne se dénote pas lui-même, « c’est la pensée qui use métalinguistiquement du langage ». Le signe est « d’abord signe de lui-même » ; en premier lieu, il indique qu’il est un signe, « et l’entrée dans la signifiance n’est rien d’autre que cela »67.

La contradiction n’apparaît que lorsque cette réflexivité de la pensée est empêchée par sa réduction à la « matérialité du langage ». C’est la subversion du langage qui, au lieu d’exprimer la pensée, s’en veut le producteur ; mais ce qui est légitime en logique et en science en général, ne saurait l’être en philosophie. La pensée intelligente ne peut se contredire qu’à condition de laisser les mots penser à sa place : on peut toujours dire : « le cercle est carré », mais on ne peut pas le penser réellement. Si on peut le dire, c’est parce que les mots ont une signification lexicale, et, à ce titre, « sont médiateurs entre une intention signifiante et une intention signifiée, et donc qu’ils continuent à fonctionner et à produire apparemment de la signification, alors même qu’ils n’expriment aucune intention signifiante ».

Si les mots n’étaient pas contractuellement porteurs de sens, il en irait autrement : chaque expression signifiante serait un événement unique, d’ailleurs indiscernable de son sens ; bref, il n’y aurait pas de signes, c’est-à-dire d’entités distinctes douées de signification déterminée. Autrement dit, le signe est signe de lui-même, se pose lui-même comme signe, et c’est grâce à cette propriété métasémiotique qu’il peut précisément « faire comme si » son pur fonctionnement sémiotique était possible. Dans la proposition : « le cercle est carré », on ne dit rien, et on ne veut rien dire, ou plutôt on ne veut dire que ce qu’on dit (un énoncé), et non point le réel ; on laisse fonctionner les entités sémiotiques « toutes seules », mais c’est un fonctionnement apparent, purement mimétique. On profite, indûment, des propriétés lexicales du langage, on rompt le contrat. Et si l’on demande : mais alors, que pense-t-on quand on dit : le cercle est carré ? puisqu’il faut bien le penser pour le dire, nous répondrons qu’on pense des mots et non des idées et cela prouve justement, d’une manière irréfutable, que penser vraiment, c’est penser des idées et non des mots.68.

Jean Borella

Voilà le premier enseignement de l’épiménide : lorsque la réflexivité est à la fois exigée et impossible, c’est que l’on a affaire à un discours qui prétend que le sens du discours est produit par le discours lui-même ou, dit autrement, que le « discours prétend s’appliquer à lui-même la thèse qu’aucun discours ne s’applique jamais à quoi que ce soit ». Le signe linguistique, qui prétend produire lui-même la signification, n’en est plus un et ne produit rien du tout, car le principe des signes est d’être traversés par l’intention signifiante qui, elle, est extralinguistique. Le signe qui « entend signifier réellement qu’il n’y a que des significations apparentes », propose la contradiction que réalise le mensonge permanent.

Le deuxième enseignement, complémentaire, tient à cette intention signifiante associée ici à une volonté de tromperie (« tous les Crétois mentent toujours »). C’est en effet la volonté libre qui, seule, peut « renoncer à son propre vouloir dire » et décider de laissser parler l’être dont la connaissance traverse l’intention signifiante. Celle-ci traverse le signe, on l’a vu, et elle est elle-même traversée par l’être : « signifier », c’est laisser l’être faire sens, c’est reconnaître l’intelligibilité de ce qui est. Ici, l’épiménide rappelle la « capacité pour la pensée de se laisser informer par l’être [et] la liberté d’y acquiescer spéculativement ».

Ainsi le paradoxe d’épiménide constitue-t-il l’« épreuve » du principe sémantique, dont les deux dimentions essentielles sont « l’intellect et la volonté, qui sont aussi les deux pôles de l’être humain »69. C’est pourquoi la contradiction est si précieuse : un langage où elle serait impossible ne pourrait jamais prendre conscience de lui-même et, par conséquent, ne saurait être le lieu de la découverte, par la pensée, de sa propre nature et de l’existence du monde 70.

Notes

  1. La liberté et le déterminisme, Paris : Alcan, 1880, p. v.[]
  2. La crise du symbolisme religieux (rééd. 2008), p. 287.[]
  3. Lettre du 4 sept. 1850 à Louis Bouilhet, Correspondance, Gustave Flaubert, Paris : E. Fasquelle, 1896, t. I, p. 338 ; en ligne (éd. Conard) : http://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/conard (éd. D. Girard et Y. Leclerc, Rouen, 2003).[]
  4. Lettre du 23 oct. 1863 à Melle Leroyer de Chantepie, Correspondance, Gustave Flaubert, Paris : L. Conard, 1929, 5e série, p. 111. Ce sont là les doctrine religieuses et philosophiques que Flaubert juge trop conclusives.[]
  5. Voir, dans Métaphysique du paradoxe, chapitre I, § Une classification des paradoxes : paralogie, paracosmie, paradoxie.[]
  6. l’* indique que ces paradoxes sont listés et explicités dans un lexique à la fin de chaque tome.[]
  7. Cf. Wolfgang Smith, The Quantum Enigma…, op. cit.[]
  8. Même si sa mise en œuvre philosophique inaugurale est due à Platon, qui, « pour la première fois dans l’histoire de la pensée philosophique, applique expressément la notion d’analogie à la résolution des questions les plus fondamentales de la métaphysique », Jean Borella, Penser l’analogie, p. 163.[]
  9. Le travail le plus abouti qu’il nous ait été donné de lire – et jusque dans une métaphysique de l’analogie en tant que telle – c’est, de Jean Borella, Penser l’analogie. Voir un aperçu dans Bruno Bérard, Jean Borella, La Révolution métaphysique…, op. cit., ch. 12. Métaphysique de l’analogie, pp. 249 sq.[]
  10. Par exemple la même année : Emmanuel Sander, L’Analogie, du naïf au créatif. Analogie et catégorisation, Paris : L’Harmattan, 2000.[]
  11. Typiquement la critique des paradoxes de Zénon d’Elée par Aristote pour confusion des catégories.[]
  12. Joseph Vidal-Rosset, Qu’est-ce qu’un paradoxe ? op. cit., p. 10.[]
  13. Martin Heidegger, également, a relevé cette soumission (Unterwerfung = assujettissement) envers l’étant, lui laissant le soin de se révéler lui-même, cf. Was ist Metaphysik ? (conf. de 1929), Qu’est-ce que la métaphysique ?, trad. Henry Corbin, Paris : Nathan, 1981. Résumé in Bruno Bérard (dir.), Qu’est-ce que la métaphysique ? op. cit., pp. 19-24.[]
  14. Joseph Vidal-Rosset, Qu’est-ce qu’un paradoxe ? p. 11.[]
  15. Ces paradoxes « ne touchent pas directement les mathématiques ; ils ont leurs racines dans le langage ordinaire », Vidal-Rosset, ibid., p. 26, qui précise l’équivalence entre « paradoxes sémantiques » (Chwistec, 1937), « paradoxes linguistiques » (Peano, 1906) et « paradoxes épistémologiques » (Ramsey, 1926).[]
  16. Nous résumons ici, sans détail, Joseph Vidal-Rosset, ibid., pp. 14-25, qui souligne « la pluralité des solutions et le fait que chacune d’elles entraîne des conséquences théoriques importantes et différentes des solutions rivales » (p. 21).[]
  17. Théorie d’Ernst Zermelo (1871-1953), modifiée par Abraham Fraenkel (1891-1965) et complété par l’axiome du Choix (Peano). Synthèse à lire chez Vidal-Rosset, op. cit.[]
  18. John von Neumann (1903-1957), Paul Bernays (1888-1977), Kurt Gödel (1906-1978).[]
  19. NF = New Foundation (Quine), U = Urelemente (éléments simples).[]
  20. Joseph Vidal-Rosset, ibid., p. 25.[]
  21. Cf. Philippe de Rouilhan (1943), Russell et le cercle des paradoxes, Paris : PUF, 1996.[]
  22. Par exemple, le site Philpapers en liste plus de 1.200 pour les seuls paradoxes sémantiques (121 pour les dits « paradoxes épistémiques », 1.100 sur le seul Menteur*).[]
  23. Joseph Vidal-Rosset, ibid., p. 31.[]
  24. On pourra y rapprocher l’idée qu’une surdéfinition tue la pensée : « Ces modèles, qui prennent si bien l’apparence de la science, me semblent être poussés trop loin pour pouvoir être utiles. C’est comme s’il valait mieux, parfois, accepter d’utiliser des notions sans qu’elles soient trop bien définies, leur manque de précision leur donnant une sorte de volant de sécurité dans l’approche juste (pertinente) de domaines nécessairement flous », Jacqueline Feldman, « Objectivité et subjectivité en science. Quelques aperçus », op. cit., § 124. On pourra également citer Emmanuel Carrère : « C’est inquiétant ce sentiment de l’instabilité, de ce qu’on est, de ce qu’on ressent et de ce qu’on pense. Cela rend très difficile de conclure. Il n’y a pas de synthèse possible », propos recueilli par Sabine Audrerie et Bruno Bouvet, « Je ne crois pas, mais le christianisme est pour moi une boussole », La Croix, 27/08/2014, nous soulignons.[]
  25. Il nous semble que cela explique que quelque École, spécialisée dans la seule sélection des meilleures capacités intellectuelles, puisse mettre sur les marchés politiques et économiques de parfaits imbéciles comme des asociaux patentés. Quelques modifications récentes des modes de recrutement semblent en avoir tenu compte.[]
  26. Pascal, Les Pensées, section V.[]
  27. En langage chrétien : on peut ne pas croire à l’incarnation et à la résurrection – nombreux sont dans ce cas –, mais, si on y croit, c’est que cela fait sens pour l’intelligence et, ainsi, reflète en quelque façon une réalité irrécusable.[]
  28. Kant dénomme lui-même ses antinomies des sophismes : « Lorsque nous appliquons notre raison non plus simplement pour l’usage des principes de l’entendement à des objets de l’expérience, mais que nous essayons d’étendre ces principes au delà des limites de cette dernière, il se produit alors des propositions sophistiques qui n’ont ni confirmation à espérer, ni contradiction à craindre dans l’expérience et dont chacune non seulement est sans contradiction avec elle-même, mais trouve même dans la nature de la raison des conditions de sa nécessité, et malheureusement l’assertion du contraire est de son côté fondée sur des raisons tout aussi valables et aussi nécessaires » ; Critique de la raison pure, trad. A. Tremesaygues & B. Pacaud, Paris : Alcan, 1905, p. 385.[]
  29. Critique de la raison pure, p. 377.[]
  30. Ibid., p. 387. Nous soulignons.[]
  31. Voir, dans le livre, l’Appendice 13. Le commencement est éternel.[]
  32. Ce que reconnaît Kant lui-même un peu plus loin – on l’a vu : « parce que ce qui borne doit être différent de ce [qu’il] sert à limiter », p. 444.[]
  33. Certes, Kant n’a pas l’idée de l’espace-temps – ni du modèle cosmologique actuel –, mais il aurait disposé de toute la science et de toute la philosophie antérieure (l’évidence d’un monde sans bord date du Ve s. AEC avec Archytas de Tarente ; la doctrine de la creatio ex nihilo du IIe s. ap. J.-C.), s’il ne s’était évertué à les répudier d’une certaine façon, afin de poser ses propres prolégomènes. Surtout, ayant mis l’espace et le temps « à l’intérieur » de l’homme, comme catégories de l’entendement, et le monde étant réputé inconnaissable, son discours en devient nécessairement sophistique.[]
  34. Jean Borella, Histoire et théorie du symbole (Le mystère du signe, 1989), 3e éd., Paris : L’Harmattan, 2015, p. 99.[]
  35. Jean Borella, La crise du symbolisme religieux, op. cit., p. 303. De ce point de vue, la philosophie de la logique n’échappe pas à ce réductionnisme constitutif : « il nous semble [qu’elle] reste encore prisonnière du cercle où l’enferme Épiménide » (p. 304).[]
  36. Stromates, I, 59, 2 et La sainte Bible de Pirot et Clamer, Paris : Letouzey et Ané, t. XII, p. 251 ; cité par Jean Borella, La crise du symbolisme religieux, p. 297. Nous le suivons dans cette section. Il accorde à son interprétation du paradoxe d’Épiménide « la valeur d’une épreuve initiatique pour l’entrée dans la voie philosophique » (ibid., p. 16).[]
  37. Le scepticisme grec n’est pas nécessairement à comprendre au sens moderne d’un accès impossible à la vérité, mais peut être interprêté comme dénonçant « le caractère relatif et contradictoire des formulations […] en vue d’un dépassement de toute forme et d’une saisie directe de l’intelligence par la Vérité elle-même » (ibid., p. 298, n. 709).[]
  38. « Pausanias, loc. cit., atteste que les légendes d’Épiménide étaient encore bien vivantes au Ile siècle de notre ère », Marie-Christine Leclerc, « Épiménide sans paradoxe », Kernos [En ligne], 5 | 1992, URL : http://kernos. revues.org/1063, p. 223. Quant à la recherche historique, « Ces incertitudes et distorsions sont le résultat d’une problématique positiviste » (ibid.).[]
  39. Épiménide est du VIe s. AEC (Eubulide de Milet du IVe) ; E. R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel (1959), trad. Michael Gibson, Paris : Flammarion, 1977, pp. 146-147.[]
  40. Selon Plutarque, Banquet des Sept Sages, 158b. Influence relevée par Platon, Lois, 677d-e ; Marie-Christine Leclerc, op. cit., p. 227.[]
  41. Vies et doctrines des philosophes illustres, Marie-Odile Goulet-Gazé (dir.), Paris : Le Livre de Poche (La Pochothèque), 1999, I, 114, p. 149 (Borella, ibid., p. 298).[]
  42. Les lois, I, 642 d-c ; III, 677 e (ibid.).[]
  43. Plutarque, Banquet des Sept Sages ; Diogène Laërce, l, 109-115 ; Marie-Christine Leclerc, op. cit., p. 221.[]
  44. Rhétorique, 1418 a 24 (ibid.).[]
  45. Francis Vian, « Grèce archaïque et classique », Histoire des religions, Encyclopédie de la Pléiade, 1970, t. I, p. 560 (ibid., p. 300).[]
  46. Mythe et foi (coll.), Paris : Aubier, 1966, pp. 13-14 (ibid., p. 299).[]
  47. « Épiménide est bien enraciné dans la tradition cultuelle des cavernes », Marie-Christine Leclerc, op. cit., p. 222 ; en référence à W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft, Studien zu Pythagoras, Philolaos und Platon, Nuremberg, 1962, p. 127 ; R. F. Willetts, Cretan cults and festivals, London, 1962, pp. 216, 242.[]
  48. « Inscriptions apparues post mortem », suivant Marie-Christine Leclerc, op. cit., p. 224.[]
  49. Jean Borella, ibid., p. 300.[]
  50. Jean Borella, ibid., p. 303.[]
  51. Alexandre Koyré (1892-1964), Épiménide le Menteur (Ensemble et Catégorie), Paris : Hermann et Cie, 1947, p. 24 ; Jean Borella, ibid., p. 301.[]
  52. Jean Borella, ibid., p. 303.[]
  53. Voir ch. VII, § 3 de Métaphysique du paraoxe.[]
  54. Formellement, une définition met en équivalence le terme défini : le definiendum et un élément définissant : le definiens. Classiquement : « homme » = « animal rationnel ».[]
  55. Suivant Tarski, seule le langage appauvri de la logique peut y échapper ; cf. Bertrand Saint-Sernin (1931), « Les paradoxes », Revue de l’enseignement philosophique, 25e année, n°1, 1975, pp. 32 & 41-42 ; cité par Jean Borella, ibid., p. 304 et n. 729.[]
  56. Hors de la logique, dans d’autres sciences, on a observé que la surdéfinition tue la pensée : « C’est comme s’il valait mieux, parfois, accepter d’utiliser des notions sans qu’elles soient trop bien définies, leur manque de précision leur donnant une sorte de volant de sécurité dans l’approche juste (pertinente) de domaines nécessairement flous », Jacqueline Feldman, « Objectivité et subjectivité en science. Quelques aperçus », op. cit., § 124.[]
  57. « La signification d’un mot est son emploi dans le langage », Philosophische Untersuchungen, § 43, Frankfurt-am-Main : Suhrkamp Verlag, 1967, p. 35 ; trad. Jean Borella, ibid., p. 305. Souligné dans le texte.[]
  58. Jean Borella, ibid., pp. 304-305.[]
  59. Jean Borella, ibid., p. 305. Nous soulignons.[]
  60. « Ce mot compte trois lettres » (le mot « mot » compte trois lettres) ; typiquement, un paradoxe sera la négation d’une autoréférence : « il est interdit d’interdire », « l’impermanence est-elle impermanente ou permanente ? », « je mens » ; voir paradoxe de Grelling*.[]
  61. « Les limitations des formalismes découlent de certaines propriétés qui sont inhérentes à la notion de système formel […] ; en définitive elles sont implicitement contenues dans le projet même de la formalisation » (Ladrière, ibid., p. 324) » ; cité par René Amacker, Linguistique saussurienne, Genève : Droz, 1975, p. 118.[]
  62. Par exemple chez Saussure qu’elle « a hanté » : « Il n’y a aucun substratum quelconque aux entités linguistiques ; elles ont la propriété d’exister de par leur différence, sans que le pronom elles [dans la phrase en cours, qui commence par « elles ont la propriété » (RA)] arrive où que ce soit à désigner autre chose lui-même qu’une différence » (N 24a = 3342.2,1), cité par René Amacker, « Saussure ‘héraclitéen’ : épistémologie constructiviste et réflexivité de la théorie linguistique », Linx, 7 1995 (pp. 17-28), n. 16.[]
  63. « La réflexivité est la propriété qu’a toute langue naturelle d’être sa propre métalangue : on a be­soin de la langue pour parler de la langue, ce qui signifie que les énoncés théoriques du linguiste s’expriment au moyen de cela même précisément sur quoi ils portent. Autrement dit, quelle que soit la propriété que le linguiste reconnaît à la langue, cette propriété appartient en principe aux énoncés qui formulent la propriété en question. Ainsi, affirmer l’arbitraire radical du signe linguis­tique, c’est du même coup affirmer l’arbitraire radical du signe arbitraire radical », René Amacker, « Saussure ‘héraclitéen’… », § 4.[]
  64. « Je dirai que les langues naturelles sont omnipotentes et reflexives, c’est-à-dire non seulement qu’elles peuvent et doivent pouvoir parler légitimement d’elles-mêmes (réflexivité), mais encore qu’elles couvrent « l’ensemble de la matière à signifier » (omnipotence). Du reste, il y a sans doute un lien entre ces deux attributs, qui sont comme les deux faces d’une même propriété spécifique du système linguistique : la langue peut parler d’elle-même parce qu’elle peut tout dire, et elle peut tout exprimer, y compris elle-même, parce qu’elle est omnipotente », René Amacker, Linguistique saussurienne, Genève : Droz, 1975, pp. 118-119.[]
  65. « Si j’ai réussi à faire saisir ce que j’ai voulu dire, la langue devrait apparaître, en tant qu’elle est réflexive, comme un ruban de Mœbius du premier type (tel que celui qui s’y promène peut changer de face du ruban sans changer de face du ruban) ou, mieux encore, comme le moulin du tableau d’Escher, dont l’eau qui par sa chute vient de faire tourner la roue revient, en courant tranquillement dans son chenal, faire tourner la roue par sa chute. Tout se passe donc comme si la langue réalisait le mouvement perpétuel », René Amacker, « Saussure ‘héraclitéen’… », § 6.[]
  66. Jean Borella, ibid., p. 305. Voir Jean Borella, Histoire et théorie du symbole, Paris : l’Harmattan, 2015 (3e éd.), qui l’expose en détail philosophiquement.[]
  67. Jean Borella, ibid., p. 306.[]
  68. ibid., p. 307[]
  69. ibid., p. 308[]
  70. ibid., p.309[]