Introduction

Il est courant en philosophie de distinguer le Umwelt (« environnement direct » ou, mieux, « monde propre »1), dans lequel évoluent les animaux, du Welt (monde) que seul l’homme est en mesure d’appréhender en tant que tel2. Et, s’il l’appréhende, au-delà d’une Weltanschauung limitée, c’est en vertu d’un Überwelt, un « monde du dessus », la réalité sémantique qui enveloppe le monde physique et l’informe.

Umwelt de l’animal

L’Umwelt de l’animal paraît une évidence : chaque espèce vivante a son monde propre, qui fait sens pour elle et la détermine. L’animal, par exemple, répond aux sollicitations de son environnement (le chien qui aboie) et l’explore ou l’utilise en fonction de ses besoins (la poule qui gratte la terre pour dégager des vers à manger). L’exemple fameux de Uexküll fut les deux sollicitations auxquelles répond un type de tique particulier :

  • Fécondée, la femelle grimpe sur une branche et, au stimulus olfactif3, se laisse tomber sur le mammifère qui passe. Elle remontera sur une branche autant de fois que nécessaire ;
  • Un stimulus tactile lui permet alors de trouver un emplacement où la peau est dénué de poils ; elle enfonce alors sa « tête » (son rostre) sous la peau, se remplit de sang, se laisse tomber, pond ses œufs et meurt.4

Répondre aux sollicitations pertinentes et identifier très sélectivement ce qui correspond au besoin de sa vie, voici bien le monde propre du vivant, un monde très limité, limité à l’utilité de la vie.

Umwelt de l’être humain

L’animal humain

Au premier abord, il peut sembler que, semblablement, l’être humain s’insère dans un Umwelt. Que l’on pense à l’aborigène d’Australie, à celui d’Amazonie, au soldat de la Sparte antique, au moine tibétain, au nomade des steppes et jusqu’à l’employé de Wall Street ou de la Défense5, voire au paysan de la Garonne, à l’enfant de Calcutta, dont l’unique horizon est un immense tas d’ordures, ou encore à un survivant du Proche-Orient dans les ruines de sa ville.

On peut même préciser davantage. L’être humain va se positionner majoritairement en réaction aux sollicitations à l’intérieur du champ étroit que la société environnante lui propose : le cricket en Inde, le football en Allemagne, le curling en Écosse, etc. Sa liberté, de ce point de vue illusoire, consistera à choisir s’il « s’intéresse » à l’athlétisme ou à la Formule 1. De même, parmi des millions d’artistes, il sera fan d’Elvis Presley, de Tino Rossi ou de Madona. Par ailleurs, il aura, comme animal domestique un chien ou un chat. En politique, majoritairement, il se positionnera en faveur de l’un ou l’autre des candidats en présence ou des partis existants. Mettons-lui un écran en main, il s’y absorbera plus de cinq heures par jours (loisirs uniquement)6.

Certes, il y a les « marginaux », qui prendront un serpent comme animal domestique, seront fans de la chanteuse cubaine Celia Cruz, « choisiront » la pétanque, le vote nul et qui joueront aux cartes et liront des journaux. Mais cette « marginalité », confirme plutôt une réponse à une sollicitation – fût-elle moins banale –, peu différente, semble-t-il, de celle de la tique enceinte.

L’animal libre

Cela dit, quelles que soient les déterminations externes comme internes pouvant influencer les choix de réponses aux sollicitations (sport, chanteur, animal domestique, option politique et à peu près tout le reste encore), on montre aisément que la liberté est d’un autre ordre qui s’exerce au sein de toute détermination. C’est que la liberté renvoie directement à l’essence de l’homme, selon son fondement ontologique comme « animal raisonnable »7 et comme animal libre8. Ainsi, quels que soient les déterminismes inconscients (psychanalyse), culturels (sociologie) et neurologiques (neurosciences, psychobiologie), le libre arbitre reste tout simplement concevable. Posons toutefois la question: peut-on être conditionnés et libres ?

La liberté ici en question qualifie l’exercice de la volonté, si tant est qu’il n’est pas induit par une passion déterminante – auquel cas le libre arbitre serait une illusion due à l’ignorance des causes qui nous font agir (Spinoza) –, mais qu’il est le fruit d’un choix réfléchi (Aristote) en vue d’un bien (Platon), éclairé par la raison (Descartes, Leibniz), faisant sortir l’homme de l’état de nature (Rousseau), suivant une loi morale dont il se dote (Kant). Dès lors nous sommes « condamnés à être libres »9 et responsables de nos actes (Sartre)10. Philosophiquement, cette liberté peut être définie négativement, comme absence de contrainte ou de détermination, voire comme liberté d’indifférence, ou bien, positivement, comme autonomie ou spontanéité de la volonté11.

Si la liberté consistait, pour l’homme, à être libre de toute détermination, le plus libre serait le plus indéterminé, et totalement libre signifierait alors complètement indéterminé, ce qui est absurde12. Si l’on s’arrêtait là, Dieu seul serait libre et l’homme, nécessairement déterminé, ne saurait l’être en rien. En effet, un homme entièrement soumis, et ainsi réduit, à ses déterminations serait un pur automate13. C’est ce qu’illustre le paradoxe de Buridan : Ne pouvant choisir par quoi commencer, un âne mourra de faim et de soif entre son picotin d’avoine et son seau d’eau14. Dénoncé par l’absurde dans l’expérience de pensée de « l’âne de Buridan », cela signifie que les déterminations, inévitables, ne s’opposent pas à la liberté, elles forment le fond nécessaire sur lequel la liberté pourra s’exercer. Et si maintenant la liberté caractérise le pouvoir ou la volonté de faire quelque chose, c’est également par des actions déterminées, selon des buts et des moyens déterminés, qu’elle sera exercée. Tout est donc déterminé : l’homme et son environnement, le but et le moyen de son action. Cela signifie que la liberté ne peut être, en aucun cas, le fait d’échapper en quoi que ce soit aux déterminations internes ou externes ; tout au contraire, elle réside dans l’acceptation, d’une part, des déterminations intrinsèques à l’ordre des choses et, d’autre part, de celles qui correspondent aux fins et aux moyens de l’action choisie.

Être libre, c’est obéir

Si l’on veut aller plus métaphysiquement dans ce qu’est la liberté, on dépassera ce paradoxe : être libre, c’est obéir.15

La liberté, comme acceptation des déterminations, n’est donc ni une soumission ni une démission, mais bien l’acceptation volontaire, libre donc, quand bien même obéissante, d’une mission.

Cette capacité en nous de faire librement ce que l’on doit, Descartes, admirablement, l’appelle la « générosité », Corneille le « cœur » et Platon le « courage » qui en grec se nomme andréia, qualité propre de l’andros (l’homme).

Jean Borella16

Plus précisément, la volonté ne se donne comme fin que ce dont l’intelligence peut lui donner connaissance et si tant est qu’elle voudra le considérer comme bien. Si, par définition, est bien ce que la volonté élit, ce n’est pas d’un bien en soi qu’il s’agit, quand bien même un bien absolu y est référé, mais ce n’est qu’un bien pour soi. Cette relativité est celle de la connaissance imparfaite dont la liberté dispose. Si la liberté bénéficiait d’une connaissance parfaite des biens et du Bien, la volonté étant désir du bien, l’homme, entièrement déterminé par cette connaissance parfaite, ne serait plus libre. « Cela signifie que cette ignorance qui se manifeste par notre liberté est ontologique, plus encore elle s’identifie à notre être même » (Borella).

La conviction de cette liberté fondamentale qui s’attache à notre personne, c’est « la conscience que notre existence est une existence personnelle et responsable et non le simple développement de causalités mécaniques ». Métaphysiquement, cette conviction renvoie à la transcendance du Bien suprême qu’implique l’acte même du vouloir, c’est le seul « moyen de rendre compte de la liberté humaine »17. Cela constitue le paradoxe (métaphysique) de la liberté : la volonté n’est libre que parce qu’elle ignore le bien qu’elle vise, mais obéit à cette visée qui pourtant la dépasse18.

Weltanschauung (vision du monde)

Weltanschauung (vision du monde), est une notion introduite par Kant, au sens de Weltbild (image holistique du monde) en opposition à une re-présentation impliquant raisonnement (Critique de la raison pure), puis, en opposition à toute connaissance théorique rationnelle (Critique de la faculté de juger). Devenu un concept important en philosophie allemande19 tout au long du XIXe siècle et jusqu’au début du XXe, mais au sens progressivement modifié d’une abstraction, il fut critiqué entre autres par Freud et Jung, tous deux rappelant que toute Weltanchauung ne saurait jamais être mieux qu’une hypothèse20, pendant que Husserl, comme Heidegger, l’opposeront à la philosophie, le premier disant que la Weltanchauung manque de « validité absolue » exigée par la « science philosophique »21, le second, la montrant comme une fermeture, une « conclusion », la philosophie étant par nature, au contraire, ouverte22 et, disons, aporétique.

Aujourd’hui, Weltanchauung, tel que le mot allemand a été intégré en français, en anglais, en italien et, dans une moindre mesure en espagnol, signifie partout « vision du monde » ou « conception du monde », dans des sens que nous pensons proches : une synthèse de nature cosmologique ou philosophique comportant des biais liés soit aux limites de la raison, soit à l’impossible connaissance de l’état de la science, ne serait-ce qu’en physique ou en biologie. On pourrait rapprocher ces Weltanschauungen, celles qui sont dans l’air du temps, de l’épistémè foucaldienne23, bien que ce dernier s’en défende, à juste titre, l’épistémè étant précisément « ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques » d’une époque24.

Dans tous les cas, concernant notre propos ici, il est très clair que l’être humain est en mesure de regarder bien au-delà de son Umwelt rétréci, fût-ce sa vision juste ou fausse.

Welt (monde)

Penser au monde

Si l’être humain a toujours une vision du monde, aussi élémentaire soit elle, c’est naturellement parce qu’il a conscience du monde, fût-il absorbé la plupart du temps par des écrans25 pour les uns, ou la recherche incessante de nourriture pour d’autres.

C’est-à-dire que cette pensée du monde, que l’homme dispose de loisir ou pas, est généralement sporadique et rudimentaire, souvent en réponse à une sollicitation à l’occasion d’obsèques, mais elle est là, indéniablement.

Sa raison et la science (en tant que connaissance par les causes)26 l’y amène tout naturellement ; il reste toujours des moments aussi brefs soient-ils, où il y pensera sans vouloir s’en empêcher. Certes, certains s’arrêteront d’y penser, soit qu’ils n’aient pas l’entraînement intellectuel pour poursuivre, soit qu’une prise de position dogmatique telle que le renoncement à connaître ce qui serait métaphysique et décrété inconnaissable (kantisme), soit encore qu’une foi religieuse amène une confiance telle que toute pensée du monde devienne inutile. Toutefois, cette pensée, fût-elle un renoncement, aura eu lieu et pris place dans l’esprit.

Penser le monde

Il n’est que trop évident que, constituant certes un très faible pourcentage des habitants de la terre, ce sont tout de même des millions de philosophes et scientifiques qui travaillent à une meilleure connaissance du monde, soit en fonction de leur Weltanschauung, soit pour s’en forger une. Et le seul fait qu’ils y travaillent vaut pour chaque être humain, quelle que soit sa capacité à le faire, car elle ne sera jamais nulle. Sauf pathologie, il n’y a qu’une sorte d’homme et on a dit que tout homme est philosophe par nature et, même, métaphysicien (Schopenhauer27).

Penser le monde scientifiquement

C’est bien davantage dans l’épistémè de l’ère moderne que dans l’esprit des scientifiques eux-mêmes28 que s’est progressivement édifié le scientisme29, croyance née en parallèle au développement de la science expérimentale, c’est-à-dire grâce à la technique qui en découle, constituant un ersatz pragmatique d’une preuve scientifique formellement impossible.30

Des preuves reposant sur deux croyances. En effet, pour combiner les mondes disjoints des mots (énoncé à prouver) et des choses (dispositif objectif de mise à l’épreuve de l’énoncé), ce sont bien deux croyances qui, formellement, doivent intervenir :

  • la croyance subjective du destinataire de la preuve à l’efficacité de celle-ci,
  • la reconnaissance intersubjective du bien-fondé des procédures de la preuve, ce qui constitue une autre croyance encore.31

Des théories par nature hypothétiques. De ce couple désormais indissoluble, théories et expériences, qui se répondent, chacune faisant avancer l’autre, d’une part, la théorie n’est jamais plus qu’une hypothèse, nécessairement falsifiable (Karl Popper, 1902-1994), au sens où l’émetteur même de la théorie, d’abord identifie les faits possibles qui la réfuteraient et, ensuite, part à la recherche de ces faits éventuels, et, d’autre part, les expériences nécessitent des croyances – d’autant plus que les observations et leurs interprétations sont souvent trop complexes et les expérimentations mêmes souvent déjà trop abstraites et empruntes du contexte conceptuel qui leur a donné naissance ; l’instrument de mesure lui-même est théorique lorsqu’il est le fruit d’une théorie (cf. Alexandre Koyré, 1902-1964). Sans compter les expériences non dupliquées à cause du coût exorbitant que cela représenterait, alors que selon la règle élémentaire de la preuve expérimentale, testis unus, testis nullus (une expérience unique est une expérience nulle).

On pourrait dire avec le physicien Richard Feynman que « la science ne consiste pas à affirmer ce qui est certain, mais à oser énoncer, dans des domaines encore inconnus ou inexplorés, ce dont on n’est pas vraiment sûr »32. De plus, avec l’extrême démultiplication des sciences et des techniques particulières, dont une connaissance unifiée est devenue impossible, un physicien peut dire : « Pour moi, la relative mais étonnante efficacité des grands systèmes – une centrale, un avion de ligne – est extrêmement mystérieuse »33. La preuve reposant sur deux croyances, la technique, comme substitut de la preuve, aussi indubitable que la réalisation technique puisse être, reste désormais inaccessible à l’individu isolé, aussi polymathe qu’il serait.

Des observations hypothétiques. À des théories hypothétiques font face des observations pouvant elles aussi être hypothétiques, c’est que l’observation d’une apparence est à jamais une simple hypothèse. En astrophysique, à tout le moins, l’une des questions critiques est : « Et si la topologie de l’univers était multiconnexe ? c’est-à-dire un espace ressemblant à l’intérieur d’une pièce tapissée de miroirs compliqués »34. Dans ce cas, chaque galaxie serait accompagnée d’un grand nombre d’images fantômes sans qu’il soit possible de distinguer les images « réelles » des images fantômes. On parle alors d’un univers « chiffonné », dont les simulations numériques ressemblent d’ailleurs à l’apparence du vrai ciel. Cette illusion d’optique cosmique est tout à fait possible : une impression d’immensité, alors que l’espace réel serait petit et « chiffonné »35.

L’abandon légitime mais pervers de la nécessité d’une cause première. Le fondateur de la science, a minima de la rigueur scientifique du discours et de la logique a pu en physique-métaphysique découvrir la nécessité d’une Cause première : « si rien n’est premier, absolument rien n’est cause ! », dira-t-il36, c’est-à-dire que sans cause première, les causes secondes sont sans signification.

Bien que la science soit connaissance par les causes (Scientia est cognitio per causas), elle est obligée de répudier cette cause première qui, seule, justifie toutes les autres. Ainsi, le modèle standard cosmologique (ledit Big Bang) ne commence qu’après le début de l’univers, le commencement étant par nature métaphysique. C’est ce que confirme tout physicien, par exemple : « la physique ne peut concevoir ce qui aurait pu se dérouler avant, que cet avant soit chronologique […] ou fondateur, explicatif […] »37. Cette exclusion du début extra-physique est légitime et constitutif, institutif même, de la science physique. En revanche, il ne faut pas rêver qu’un jour, la physique puisse tout expliquer. Le pourquoi s’est réduit à des comment, mais combien efficaces, comme l’illustre la technique. Pour autant, la science n’est plus en rien explicative, mais descriptive seulement.

L’abandon de la cause finale. Des quatre causes, relevées par Aristote, la cause finale38 sera également abandonnée, du fait de son lien possible, mais pas systématique, avec la cause première. Ainsi ne trouve-t-on plus cette cause finale du pourquoi que dans les options scientifiques hétérodoxes, pourtant non « finalistes »39 per se, comme l’intelligent design ou les arguments de la complexité irréductible (Behe, 1952) et de l’information complexe spécifiée (Dembski, 1960), le controversé principe anthropique (Carter, 1942-), ou encore la théorie des champs morphogénétiques (Sheldrake, 1942), ou la causalité verticale (Wolfgang Smith, 1930).

Privée de cause première et de cause finale, il reste à la science bien peu à dire en termes d’explications, demeurent bien sûr les descriptions irréfutables et, indubitablement, les réussites des applications techniques.

De l’abandon des causes à la disparition du réel. En biologie, face à la complexité, le hasard a pris un temps la place de cause40, avant de redevenir le simple aveu d’ignorance qu’il avait toujours eu et qu’un biochimiste actuel peut depuis confirmer : « Le hasard intrinsèque, à mon sens, ne pourrait pas réellement être une notion scientifique [… car] dès que l’on emploie ce mot, cela revient à dire que l’on ne sait rien sur ce qui se passe » ou « il faut se débarrasser du hasard pour rester déterministe »41.

Il faut dire qu’entre temps, un véritable changement d’ère a pris place, de celle de la causalité à celle du déterminisme, qui est bien davantage que le triple changement de vocabulaire :

  • de la Chose au Fait (de l’ontologique au phénoménologique ; Bacon, XVIIe s.) ; « Le monde est l’ensemble des faits, non pas des choses. Le monde se dissout en faits », affirmera Ludwig Wittgenstein42 ;
  • de la Cause à la Loi (de l’explicatif au successif ; Hume, XVIIIe s.)43 ;
  • de la Force à la Fonction (Mill, XIXe s.).

Wilhelm Wundt (1832-1920) a pu à bon droit ironiser sur cette évolution sur trois siècles :

Au XVIIe siècle, c’est Dieu qui établit les lois de la nature ; au XVIIIe, c’est la nature elle-même ; au XIXe, ce sont les savants qui s’en chargent44

et les lois portent en effet les noms de leur découvreur : loi de Mariotte, de Gay-Lussac, d’Ohm, de Weber, etc. De fait, au-delà du changement de vocabulaire, l’on sera passé de l’entité concrète à la relation fonctionnelle, à l’abstraction et à la mathématisation systématique.

Il importe peu, en général, que nous voyions dans les équations de la physique l’expression de substances, de lois ou de forces, elles expriment toujours des dépendances fonctionnelles

Ernst Mach45

Le réel est devenu formellement inaccessible à la science, ainsi que le formulait le physicien Max Planck (1858-1947) :

il subsiste toujours, du point de vue des sciences exactes, un fossé infranchissable entre le monde phénoménologique et le monde réel métaphysique… Dans cette visée d’un réel absolu, et son incapacité à l’atteindre, réside l’élément irrationnel inhérent à l’activité scientifique… Le monde réel métaphysique n’est donc pas le point de départ de la recherche scientifique, mais son but inaccessible.46

Et de conclure :

Il n’y a pas de matière en soi (…) ainsi s’achève notre travail, et nous devons remettre dans les mains de la philosophie la suite de nos recherches47.

Ainsi, selon le physicien Marc Lachièze-Rey, la science est nécessairement réductrice et se passe tout à fait de l’existence ou pas de la réalité :

La description physique est volontairement réductrice, c’est-à-dire ne s’intéresse pas à beaucoup de choses. Elle refuse de prendre beaucoup de choses en compte parce qu’elle n’en a pas besoin. Dans la conception quantique, un chien, c’est une fonction d’onde. En outre, je ne pense pas qu’on puisse séparer la fonction d’onde du chien de celle du reste de l’Univers, parce que la conception quantique implique une globalité, selon laquelle il n’y a qu’une seule fonction d’onde, celle de l’Univers.

[…] La réalité, elle y est, Personne ne l’épuise, ni en nommant le chien, ni en l’aimant, ni en le disséquant. Mais je répète que la physique n’a pas besoin de supposer que cette réalité existe ou n’existe pas.48

Überwelt

Les limites de la connaissance scientifique

Une fois les causes première et finale supprimées, certainement la vie doit nécessairement sortir de la matière et l’homme de la vie, mais comment y croire, si, par hypothèse – fût-elle méthodologique –, la cause première est une nécessité scientifique écartée ? On relèvera, pour ce qui est de la physique, qu’« en physique classique, on disait ‘‘la réalité, ce sont les particules’’ ; en physique quantique, une position réaliste déclare : ‘‘la réalité, c’est la fonction d’onde’’ »49, mais ne sont-ce pas là de simples « réalités » strictement scientifiques ? des réductions scientifiques ?

Pour autant, et comme tous les savants50, la science reconnaît elle-même volontiers ses limites, y compris celle consistant à ne pas pouvoir cerner le domaine de l’inconnu :

Il serait donc trop schématique, voire quelque peu outrecuidant, pour nous scientifiques, tout en admettant qu’il y a certes des choses que nous ignorons, de prétendre en même temps que nous sommes capables de localiser et de cerner le domaine de notre ignorance.

Jean-Marc Lévy Leblond51

D’autres limites, en revanche, sont bien établies52 ; ce sont, en mathématique comme en physique, les limites constructives, prédictives, ontologiques, cognitives53. Concernant les limites cognitives, mentionnons que la mécanique quantique oblige à renoncer à une description de la réalité autre que celle de son apparence à travers les phénomènes empiriques ; il en résulte que « la prétention de la physique de décrire la réalité en soi doit être abandonnée »54.

De l’évidence de l’Überwelt

Il n’y a pas que la cause première qui pointe vers l’Überwelt55. Celle cause-ci est l’évidence, extérieure, à laquelle on est rendu après avoir constaté et considéré le domaine physique. Mais il y a une autre évidence, intérieure cette fois, qui y pointe. On le comprendra par la distinction entre la raison et l’intelligence et par les notions d’ouverture et fermeture épistémique du concept en science et en philosophie, comparativement.

La raison et l’intelligence. Qu’il suffise de rappeler que, de tout temps (sauf le kantisme), la tradition philosophique a distingué la raison de l’intelligence. Il y a une connaissance qui manie les concepts et les raisonnements hypothético-déductifs par raison discursive sous la gouverne de la logique – Platon la dénomme dianoia. Mais il y a, complémentairement et nécessairement, la connaissance intuitive par ascension dialectique de l’intellect – Platon la dénomme noèsis. Cela signifie que l’intelligible, le sémantique, que l’on reçoit dans l’intelligence sans pouvoir jamais le générer par soi-même, est un monde, au-delà du monde concret et dont ce dernier dépend. Ainsi, à l’œil « extérieur » qui cherche la cause du physique qu’il rencontre (Aristote), répond l’œil « intérieur » qui découvre ce que reçoit son intellect, lequel, de par sa capacité à le recevoir semble fonctionner par réminiscence (Platon).56.

Ouverture et fermeture épistémique du concept. C’est là la différence fondamentale entre science et philosophie57. En science, la fermeture épistémique du concept est bien dans la légitime – et constitutive – réduction du concept à un calculable par une raison logique. Pour la philosophie, en revanche, l’ouverture épistémique du concept est sa caractéristique essentielle. En fait, « la fermeture épistémique du concept en science présuppose son ouverture philosophique ». Car, pour opérer, légitimement, la fermeture du concept de l’objet étudié – ce qui, seul, permet une définition close (telles la réduction du corps au point matériel ou la réduction de la langue à un système d’unités différentielles), il faut « s’arracher à la fascination de la chose telle qu’elle nous est donnée, pour lui substituer un objet construit », il faut « renoncer à l’acte le plus foncier de l’intelligence qui est son ouverture au réel », son attente et son « espérance indéfectible du réel », « auquel d’abord et en elle-même elle se soumet » (Borella).

Si les concepts philosophiques sont […] transpercés par le réel, cela signifie […] qu’ils recèlent du non-conçu, du non-pensé, de l’‘‘inintelligé’’ […dont il] résulte que le champ spéculatif de l’intelligence philosophique est un champ essentiellement ouvert, et cela, par définition. Le philosophe sait bien que toute connaissance conceptuelle opère une certaine fermeture spéculative », alors que la pensée vulgaire ignore bien sûr ses propres limites et que la science les ignore consciemment, parce qu’elle ne doit penser qu’à l’intérieur des limites épistémiques définissant « l’unique espace de pensée rigoureuse (au regard de la science).

Jean Borella

Le philosophe sait aussi qu’on ne peut limiter qu’à partir d’un illimité, qu’on « ne peut avoir conscience des limites du conceptuel qu’en ayant conscience d’un au-delà du concept. Cette conscience est aussi une condition permanente de notre connaissance », ce dont la philosophie entend tenir compte. Elle interviendra, « non point par prétention de dépasser indûment la science, mais, chaque fois qu’une pensée humaine, ayant pris conscience de sa finitude, décide cependant de passer outre et de continuer à poursuivre son effort de rigueur, en dépit de cette finitude, à cause d’elle et avec elle » (Borella).

Cet Überweilt est le monde sémantique (Borella), le monde des Idées (Platon). Ainsi, Platon pouvait dire que toute cosmologie ne saurait être davantage qu’« un mythe vraisemblable » (ton eikota mython) »(Timée, 29d.). Ou, comme le disait plus récemment l’astrophysicien James Jeans (1877-1946) : « L’univers commence à ressembler plus à une grande pensée qu’à une grande machine »58.

Si la réalité n’est plus du ressort de la science (Max Planck, Lachièze-Rey, etc.), c’est qu’elle est en effet du ressort de la métaphysique, fondé sur l’intelligence, distinguée de la raison, comme sens de l’être.

Ce manque métaphysique, la physique en « souffre » néanmoins. De là,  le physicien Bernard d’Espagnat (1921-2015) qui en vient à suggérer une recherche en amont de la relativité du temps, comme l’« éternité » et la « création continue » (notions à adapter bien sûr à la physique). Également, ses suggestions de rapprocher de sa « causalité élargie » la cause finale aristotélicienne (« le réel étant premier par rapport au temps, la causalité qu’il exerce ne peut être soumise à une stricte condition d’antériorité »), de raccorder à son « réel voilé » la puissance et l’acte du Stagirite et, à la suite d’Heisenberg (1901-1976), conforté par la récente théorie de la décohérence, de combiner la materia prima59 de la « fonction d’onde de l’Univers »60. Il propose également, à juste titre nous semble-t-il, de rapprocher son « réel voilé » du mythe de la caverne de Platon61, avec un parallèle entre le Bien platonicien et le « réel » ; c’est, loin de tout idéalisme, le « réalisme des essences » de Platon62. C’est bien ce que suggérait également le physicien Bryce DeWitt (1923-2004) : « Prendre la mécanique quantique au pied de la lettre, c’est considérer cette théorie comme la véritable réalité, c. à d. comme appartenant au domaine platonicien des essences idéales.63

Notes

  1. Cf. Jakob Johann von Uexküll (1864-1944).[]
  2. Cf. Josef Pieper (1904-1997), « Welt und Ümwelt, son cours de 1950, Schriften zur Philosophischen Anthropologie und Ethik: Grundstrukturen menschlicher Existenz, Herausgegeben von Berthold Wald, Josef Pieper Werke 05. 2007, VI.[]
  3. L’acide butyrique odorant des glandes sudoripares des mammifères.[]
  4. Cet exemple, caractéristique de l’Umwelt de l’animal est beaucoup cité : Max Scheler, Heidegger (cf. Les concepts fondamentaux de la Métaphysique), Georges Canguilhem (cf. La connaissance de la vie), Gilles Deleuze, Giorgio Agamben, et bien d’autres philosophes actuels : Peter Sloterdijk, Baptiste Morizot, Augustin Berque, Florence Burgat, Vinciane Despret, etc.[]
  5. Grand ensemble de tours de bureaux à l’ouest de Paris[]
  6. NordVPN, Enquête menée dans quatre pays auprès de 5000 adultes entre le 22 et le 30 juin 2021.[]
  7. Aristote, Politique, L. I, 1, 4 [1252a].[]
  8. En tant que libre arbitre, la liberté est au fondement de l’anthropologie de S. Thomas d’Aquin ; en tant que liberté civile ou politique, elle prime même la raison chez l’homme dans le Contrat social (1762) chez Rousseau : « Ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre », Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam : M. M. Rey, 1755, p. 31.[]
  9. L’être et le néant (1943), Paris : Gallimard, 1976, p. 612.[]
  10. « L’homme est condamné à être libre ; condamné parce qu’il ne s’est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre parce qu’une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait » ; L’existentialisme est un humanisme, Paris : Nagel, 1946, p. 37. On peut voir, tout aussi bien, dans la formule de Saint Augustin : « Aime, et fais ce que tu veux », une liberté et une responsabilité.[]
  11. La définition théologique n’est pas différente : « la liberté de l’homme consiste négativement dans l’absence de contrainte extérieure et de toute nécessité intérieure, positivement dans la détermination et la décision autonomes, sur la base des motifs qui se présentent », Mgr B. Bartmann, Précis de théologie dogmatique, trad. M. Gautier, Mulhouse/Paris : Salvator/Casterman, 6e éd., 1947, t. I, p. 172.[]
  12. C’est ce qui rend à nos yeux peu pertinente la notion d’« incompatibilism » en philosophie analytique, pour laquelle libre volonté et déterminisme, ramenés sur un même plan, constitueraient des catégories logiquement incompatibles. Ainsi, croire au déterminisme ferait de la libre volonté une illusion (déterminisme dur : Baron d’Holbach, Daniel Wegner) ou, sinon, que le déterminisme serait faux (libertarianisme : Roderick Chisholm), ou encore, selon les thèses tierces « impossibilistes », la libre volonté est simplement décrétée être une impossibilité métaphysique (Richard Double, Galen Strawson, Saul Smilansky ou, via le fatalisme logique : Richard Taylor). Cf. Kadri Vihvelin, « Arguments for Incompatibilism », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Fall 2015 Ed., E. N. Zalta ed. Mais libre volonté et déterminisme ne sont simplement pas sur un même plan.[]
  13. Un automaton spirituale, suivant Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, trad. Ch. Appuhn, § 85.[]
  14. Buridan (1292-1363), à la suite d’Aristote, utilise l’absurdité de cette « alternative insensée » pour sa démonstration (cf. Benoît Patar, Dictionnaire des philosophes médiévaux, Montréal : Fides – Presses philosophiques, 2006).[]
  15. Nous suivons ici Jean Borella, Marxisme et sens chrétien de l’histoire, Paris : L’Harmattan, 2016.[]
  16. op. cit., p. 179.[]
  17. Borella, ibid., pp. 181-184.[]
  18. « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé », écrit Pascal, après Bernard de Clairvaux (Pascal, Fragment hors Copies n° 8H-19T recto ; Brunschvicg 553) illustrant, théologiquement ou spirituellement, ce paradoxe.[]
  19. Wilhelm Dilthey (1833-1911), tout spécialement.[]
  20. Jung, Seelenprobleme der Gegenwart, Rascher, Zurich, 1931, in « Psychologie analytique et conception du monde, Problèmes de l’Âme moderne, Buchet Chastel, 1976, pp. 95-129 et Freud,  « XXXVe Leçon. D’une vision du monde (Über eine Weltanschauung, 1933) », in Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, vol. XIX, PUF, 1995), p. 242-268.[]
  21. cf. Guillaume Fagniez, « VI. Philosophie et Weltanschauung » Lire les Beiträge zur Philosophie de Martin Heidegger, Paris : Hermann, 2017, p. 88.[]
  22. ibid., pp. 89-90.[]
  23. cf. Les mots et les choses, Paris : Gallimard, 1966.[]
  24. L’archéologie du savoir (1969), pp. 249-250. L’épistémè se comprend si l’on passe de l’histoire à l’archéologie ! cf. Les mots et les choses, op. cit., p. 13. Voir toutefois la critique de Sartre, L’Arc 30, 1966.[]
  25. cinquante-six heures par semaine, lit-on, cf. NordVPN, op. cit.[]
  26. « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », Leibniz, Principes de la nature et de la grâce fondés en raison (1714), § 7.[]
  27. Arthur Schopenhauer (1788-1860), Le monde comme volonté et comme représentation, p. 1520 (en ligne).[]
  28. voir, par exemple, (Auto)critique de la science (Textes réunis par Alain Jaubert et Jean-Marc Lévy-Leblond), Paris : Seuil, 1973 ; « Si ces frères ennemis, le scientisme et l’irrationalisme, prospèrent aujourd’hui, c’est que la science inculte devient culte ou occulte avec la même facilité », Jean-Marc Lévy-Leblond, L’Esprit de sel, Paris : Seuil, 1984, p. 97. Lire « De l’ignorance savante », Entretien de Jean-Marc Lévy Leblond, avec Mathias Girel, Michèle Leduc, Raison présente 2017/4 (N° 204), pages 9 à 21.[]
  29. Dogme affirmant que toute connaissance ne peut être atteinte que par les sciences et que d’elles seules proviennent les solutions aux problèmes humains.[]
  30. Aujourd’hui, « technoscience » désigne bien une science improuvable, si ce n’est par l’efficacité indubitable de ses effectuations techniques.[]
  31. cf. Fernando Gil.[]
  32. cité par Jean-Marc Lévy Leblond, « De l’ignorance savante », op. cit.[]
  33. ibidem, nous soulignons.[]
  34. Nous suivons ici l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, « L’univers est-il chiffonné ? », en ligne, voir aussi son livre L’Univers chiffonné, Paris : Fayard, 2001.[]
  35. Suivant les résultats provisoires obtenus par différents tests observationnels fondés sur l’effet de mirage topologique (notamment la cristallographie cosmique), « l’Univers ne peut pas être plus petit qu’environ 5 milliards d’années-lumière », Luminet, « Les polyèdres et la forme de l’espace », De la science à la philosophie, op. cit., p. 80.[]
  36. Métaphysique I, a c. 2. Trad. Jean-Marie Vernier, S’ouvrir à la métaphysique, Paris : Hora Decima, 2022, p. 18. Chez Leibniz : Principes de la nature et de la grâce fondés en raison, § 8.[]
  37. Cf. Marc Lachièze-Rey, « Les origines », Recherches de science religieuse, 81, 4 (1993), pp. 539-557. Cité par Pierre Gisel, « Sens et savoir du monde. Quel discours théologique sur la création ? », Laval théologique et philosophique 52(2), p. 359.[]
  38. Cette cause finale est ce en vue de quoi une chose est faite, la raison d’être de cette chose, ce en vue de quoi elle existe ; c’est-à-dire que la cause est alors prise comme la fin et le bien de tout le reste (« En dernier lieu, la cause signifie la fin, le but ; et c’est alors le pourquoi de la chose. Ainsi, la santé est la cause de la promenade », Aristote, Physique, L. II, ch. III, 8 ; Physique d’Aristote, Barthélemy Saint-Hilaire, Paris : Ladrange, 1852, t. II), car « la nature ne fait rien en vain ni de superflu » mais « en vue d’une fin » (avec des variations non significatives : Aristote, Génération des Animaux, II, 5, 741b, Traité de l’Âme III, 12, 434a, Parties des Animaux II, 691b / III, 661b, Physique II, 8, 198b, Histoire des animaux 471b ; références réunies (non exhaustivement) par Valérie Guth, « Aristote : “la nature ne fait rien en vain” », (2001), Philosoph’île, Site de philosophie de l’Académie de la Réunion, en ligne (07/2007).[]
  39. ce que sont les doctrines philosophiques éponymes.[]
  40. Cf. Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Paris : Seuil, 1970.[]
  41. Antoine Danchin, Entretien avec Émile Noël, 1991, Compte-rendu d’un entretien oral à propos du livre Le Hasard aujourd’hui, Paris : Le Seuil, 1991.[]
  42. Tractatus logico-philosophicus (1921), 1.1. & 1.2., trad. P. Klossowski, Paris : Gallimard, 1961, p. 29. Nous soulignons.[]
  43. pour Hume, la cause n’est qu’une croyance tirée de l’habitude, mais c’est parce qu’il a à l’esprit la pensée scientifique, passant, à tort ou à raison, de la notion aristotélicienne de force (intrinsèque aux entités) à celle de lois (entre les faits) ; il n’ignore pas que, si on le pousse par la fenêtre, il tombera.[]
  44. « Wer ist der Gesetsgeber der Naturgesetze ? » (Qui fixe les lois de la nature ?), Philosophische Studien, 1886, t. III, fasc. 3, pp. 493 sq., cité par Théodule Ribot (1839-1916), Idées générales, p. 223. À noter qu’un physicien comme Richard Feynman (1918-1988), pourra dire ironiquement que, du point de vue de la compréhension, on ne gagne rien à dire que c’est une force et non un ange, qui met les choses en mouvement, La nature de la physique, Paris: Seuil, 1980, p. 20.[]
  45. Ernst Mach (1838-1916), La connaissance et l’erreur, trad. M. Dufour, Paris : Flammarion, 1908, p. 278.[]
  46. Max Planck, L’image du monde dans la physique contemporaine, Gonthier, Paris, 1963 (Das Weltbild der neuen Physik, 1929).[]
  47. Das Wesen der Materie [La Nature de la matière], conférence, Florence, 1944 ; Archiv zur Geschichte der Max-Planck-Gesellschaft, Abt. Va, Rep. 11 Planck, Nr. 1797.[]
  48. In « discussion », De la science à la philosophie, op. cit., pp. 60-61.[]
  49. Marc Lachièze-Rey, op. cit., p. 59.[]
  50. Par exemple Poincaré : « si je ne craignais de rappeler ici un mot trop souvent répété, je dirais qu’il (le calcul des probabilités) nous enseigne surtout une chose : c’est de savoir que nous ne savons rien », Henri Poincaré, Calcul des probabilités : leçons professées pendant le deuxième semestre 1893-1894, rédigées par A. Quiquet, Paris : G. Carré, 1896, pp. 273-274. Ces remarques ne sont plus dans la réédition de 1912. Pour certains scientifiques, la science devant aboutir à des certitudes, le Calcul des probabilités devait être rejeté : d’Alembert, Comte, Claude Bernard, voire Einstein, d’une certaine façon, refusant de penser que Dieu puisse jouer aux dés.[]
  51. « De l’ignorance savante », op. cit.[]
  52. Hervé Zwirn, « Les limites de la connaissance scientifique », De la science à la philosophie,, pp. 130-131.[]
  53. En voir un résumé dans Métaphysique du paradoxe, vol. 1. Complémentairement, on pourra utilement prendre connaissance de cette « contre-approche scientifique » que constitue le Dictionnaire de l’Ignorance, Aux frontières de la science (Michel Cazenave, dir.), Paris : Hachette, 2000 (vingt et une contributions sur l’inconnu des sciences), « contre-approche » parce que, en partie par provocation, il présente ce que nous savons ne pas savoir.[]
  54. Hervé Zwirn, ibid., p. 139.[]
  55. Nous employons « Überwelt » au sens métaphysique d’un « sur-monde » ou de la réalité métaphysique de l’être.[]
  56. Voir https://metafysikos.com/metaphysique-le-langage-du-silence/ ou https://metafysikos.com/la-raison-et-l-intelligence-les-deux-faces-de-l-esprit/[]
  57. https://metafysikos.com/philosophie-et-science-ouverture-et-fermeture-du-concept/[]
  58. The Mysterious Universe, Cambridge University Press, 1930; cité par Marc Lachièze-Rey, « La géométrie en physique: unification par la symétrie », De la science à la philosophie, op. cit., p. 46. Ainsi, pour l’astrophysicien Christian Magnan (1942), un univers infini est simplement une hypothèse inutile, voire perverse. Parce que le principe d’un univers homogène et isotope (même à grande échelle) n’est pas démontré, et parce qu’« un modèle infini mathématique ne peut pas être mis en rapport, techniquement, avec le réel et cette situation est complètement contraire à la démarche scientifique […] La science ne peut pas cautionner une théorie qui échappe par avance et par nature à toute mise en rapport avec la réalité » ; cf. « L’infini des cosmologistes : réalité ou imposture ? », http://www. lacosmo.com/infini-encore.html.[]
  59. « J’appelle matière le substrat premier de chaque chose, à partir duquel elle provient et qui lui reste immanent », Phys., I, 9, 192 a 31-32. Idem chez Wolfgang Smith, « Physique et Causalité verticale », Physique et métaphysique, Paris : L’Harmattan, 2018.[]
  60. Bernard d’Espagnat, Traité de physique et de philosophie, Paris : Fayard, 2002, 19-5-2 (« Causalité élargie »).[]
  61. Cf. également « Physique et réalité », in M. Cazenave (dir.) Unité du monde, unité de l’être (Paris : Dervy, 2005, pp. 109-110) où la non-localité (telle que démontrée par le physicien John Bell, « toute théorie réaliste reproduisant certaines prédictions quantiques est nécessairement non locale », ibid.) rend toute théorie « ontologiquement interprétable » non « scientifiquement convaincante ». D’où : « on peut vraiment se demander si […] ce n’est pas le mythe platonicien de la caverne qui est l’expression de la vérité » (p. 110).[]
  62. C’est ce réalisme platonicien des essences que rejoint le réalisme analytique d’un Frege : réalisme ontologique du monde de l’esprit, son drittes Reich – troisième règne au côté de celui des représentations (internes, subjectives) et du monde (extérieur, objectif) – qui constitue la condition de possibilité d’un savoir effectivement partagé.[]
  63. Cité par Simon Diner, « Après la matière et l’énergie, l’information comme concept unificateur de la physique ? » (De la science à la philosophie, Paris, Albin Michel, 2005), p. 121.[]